Extrait d’une lettre de Juan, le gendre de Marcelino et époux de Maria sa fille, écrite de la Condamine le 14 juillet 1939.
La Condamine Chatelard, 14 juillet 1939
Aujourd’hui nous sommes en fête afin de commémorer le 150ème anniversaire de la République Française.
Hier, les jardiniers espagnols, le chef des menuisiers et moi, son interprète, fûmes désignés par le capitaine français et le commandant espagnol pour décorer le campement avec des arcs de triomphe. Aujourd’hui, à cinq heures et demie du matin ils ont tiré des salves de fusils. Ensuite à neuf heures et demie, ils nous ont fait défiler en passant devant le drapeau français. A la fin, le chef des campements nous a dit dans son discours :
« Avec cet accueil vous me prouvez votre bonne volonté et votre aide pour commémorer le 150ème anniversaire de notre République. Sachez qu’après vous avoir accueillis, la France saura sous peu de temps vous faciliter la liberté pour pouvoir, à ceux qui ont de la famille ici, vous unir avec elle pour continuer à vivre en France. En plus, nous désirons qu’à bref délai vous puissiez célébrer la fête de votre République en Espagne… »
Lorsqu’à la fin de son discours il cria : « Viva España / Vive l’Espagne ! », nous avons crié à l’unisson : « Viva Francia / Vive la France ».
Comme tu vois « ces gens » sont très contents de notre comportement et de notre ardeur au travail. Ils nous ont fait une bonne impression. Ensuite, le capitaine du campement a passé en revue les baraques fleuries par leurs occupants. Je suis sûr qu’on donnera un prix à notre père pour avoir si bien décoré la baraque dont il est responsable. Dans celle où je suis, tous, moins un compagnon et moi-même, ont leur épouse et leur famille en Espagne, mais d’un commun accord, nous avons seulement nettoyé l’intérieur en signe de protestation pour nous tenir séparés de nos êtres chéris.
Hier soir j’ai lu dans un journal français un article très intéressant pour nous. Je l’ai traduit pour tous. Lis-le attentivement :
« Seule la solidarité internationale peut continuer à recueillir des fonds nécessaires pour aider les réfugiés espagnols. J’invite les gouvernements démocrates à les accueillir. Là est la solution de l’angoissant problème posé par ces êtres qui ne peuvent retourner dans leur patrie sans risquer leur vie. L’aide aux réfugiés espagnols, affaire qui émeut l’opinion publique du monde démocrate, sera l’unique tâche de la conférence internationale qui aura lieu dans le centre Marcelin Berthelot à Paris le 15 et le 16 juillet, où se réuniront les délégués de vingt-deux pays. Dans cette conférence se feront valoir toutes les propositions susceptibles de résoudre à l’unanimité la douloureuse situation des républicains espagnols, de leurs familles, des orphelins, des volontaires internationaux, blessés et mutilés, réfugiés en France et en Afrique du Nord. Nous devons les aider matériellement, et solutionner leur répartition dans de pays démocrates ».
Maria, cela sera notre salut…
Aujourd’hui, tout a été extraordinaire, nous avons très bien déjeuné le matin, et à midi nous avons eu un très bon repas avec dessert, rhum, plus pour chacun de nous deux paquets de cigarettes et un cigare…Alors que je suis en train de t’écrire dans ma baraque, j’entends chanter et rire mes compagnons. En ce qui me concerne, cette fête augmente la tristesse que j’ai de ne pas t’avoir près de moi…
…Comme tu le sais, pour l’avoir lu dans ma lettre datée du 13 juillet 1939, j’attends la réponse de mes oncles afin de solliciter l’autorisation de rester définitivement en France, vivant les premiers mois avec eux, et cela malgré que tu me dises souvent que tu n’aimes pas la France. Crois-moi, je suis sûr que le jour ou nous aurons la liberté de pouvoir vivre ensemble pour toujours, tu aimeras la France. Je te le garantis pour avoir, comme tu le sais l’expérience d’avoir vécu quelques années dans ce pays…
C’est exceptionnel, nous avons trois photos de la cérémonie du 14 juillet 1939
(Les croix ; Juan photo du haut / sa tente photo ci-dessus)