Lettre de Marcelino du 29 juillet 1939

Vingt-huitième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine Chatelard, 29 juillet 1939

J’ai reçu votre lettre du 26, ce qui m’a fait plaisir, mais pas tout à fait parce que tu me dis que depuis que tu es dans ces terres tu souffres de rhumatismes, et moi je ne m’explique pas le genre de climat que vous avez.
Je comprends que nos souffrances communes te font dire que, si je n’étais pas intervenu en faveur de la République, aujourd’hui nous serions ensemble et tranquilles dans notre maison. Bien que de raison et de folie nous en sommes tous pourvus, je te réponds que je suis satisfait d’être en France.
Crois-moi : si nous étions restés en Espagne, aujourd’hui nous serions séparés comme maintenant, même sans être républicain. Je crois que je suis dans mon droit quand j’affirme que mon obligation en tant que père est de démontrer à nos enfants que la liberté et la justice doivent être défendues contre la dictature. On sait de tous temps que, pour s’imposer, nous écraser, les dictateurs profitent de toutes les causes de colère pour nous confronter, le moment choisi, l’un contre l’autre.
Je te préviens que tu ne me donnes aucune satisfaction, quand tu râles, que tu es stupide de vaciller et de tant espérer pour le jour où nous nous réunirons. Ta plainte n’a pas de fondement et montre que tu as perdu patience et que tu perds confiance. Aies la capacité de te ressaisir de nouveau, te rendant compte avec lucidité de notre état. Comment croire que nous nous rencontrerons dans un mois ou deux mois ? Aies confiance que cela finira, donnant raison à l’adage catholique qui dit que : Dieu ne veut pas que toujours pleurent les enfants de la même mère.
Les dés sont jetés. Tout dépend des autorités françaises. Les « Sulema » ont eus tous les avals il y a deux mois et n’ont toujours pas l’autorisation de partir. Tu dois faire preuve de courage et de patience. Pense seulement à t’occuper de tes enfants et ne deviens pas stupide. Je te le répète de nouveau : pour l’instant nous devons prendre les choses telles qu’elles se présentent, sans avoir peur. Tout à une fin.
Mon cher fils Sebastian. Tu me dis que tu vois la situation en Espagne très embrouillée. Je la vois aussi comme cela. C’est pour quelque chose que se sont rebellés, d’après ce qu’on dit, « Queipo de Llano et Yague » *, dans lesquels Franco a mis sa plus grande confiance. Quelque chose de grand doit arriver. Et je pense que nous ne tarderons pas à le voir.



Marcelino Sanz Mate