Quarante-quatrième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses-Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
J’ai reçu votre lettre du 23 octobre. En ce qui concerne Sebastian, je vous ai dit que votre décision me satisfait. Je me sens réconforté en sachant que, malgré notre mauvaise situation, vous avez la capacité qu’il faut pour penser à mettre sur la bonne voie notre avenir. Un jour viendra où nous trouverons ce que nous recherchons, c’est-à-dire, un travail quel qu’il soit, qui nous permette de nous installer jusqu’à la fin de la guerre, et dans la paix et la liberté retrouvées. Je me souviens de ce que quelqu’un nous a dit ; « soit le patron de la ferme, si petite soit-elle ». Dans l’attente de pouvoir, nous-mêmes choisir librement notre façon d’œuvrer, l’essentiel est de passer le temps présent en acceptant le travail qui se présente. Dans l’immédiat, nous devons avoir confiance dans ces personnes qui, selon toi, apprécient beaucoup, grâce à leur bon comportement, Sebastian et Maria. Si ces patrons ont besoin d’ouvriers pour produire ce dont a besoin la nation, tout comme vous, je suis prêt à les aider aux travaux des champs et à tout ceux qui le demanderont. Notre contribution sera le service que nous devons à la France pour nous avoir admis, nous sauvant de la terreur qui, selon ce que nous décrivent les lettres, ensanglante notre pays.
Ace propos, jamais je n’aurais cru que le frère de « la Encarna » recevrait de telles remarques de ses parents, puisqu’ils pensaient le contraire de ce qu’on appelle démocratie, en ayant la foi en ce qu’aujourd’hui nous, nous détestons. Il est vrai que, n’est pas or tout ce qui reluit, et qu’on apprend toujours à ses dépens. Je te prie de me dire si « la Encarna » et ses fils sont avec vous, et si Estéban est encore dans le camp de Bram* afin que je lui écrive.
En ce qui concerne l’avis que l’on vous a accroché dans le « Refugio** », incitant les occupants de celui-ci à retourner en Espagne, je vous répète ce que je vous ai déjà dit : y retourner volontairement jamais ! Et si on vous oblige, ce sera, sous la contrainte et en luttant sans merci, et même si elle doit nous condamner à être plus mal que nous le sommes.
Chère fille Maria. Ta lettre m’enchante parce que je vois que les nombreux conseils que je vous ai donnés, tant à vous qu’à votre mère, vous en avez tiré profit. Je me rends compte que vous comprenez l’essentiel de la complexité de notre situation. Il faut savoir en prendre et en laisser, car, comme on le dit : « c’est une erreur de ne croire en rien, et une faute de croire en tout ». Voilà quel est le meilleur moyen qui peut un jour nous permettre de jouir pleinement de notre union. Ne croyez pas que c’est en pleurant et en maudissant que vous obtiendrez la fin de notre calvaire, mais tout le contraire. Nous ne pourrons nous sortir de notre situation qu’à force de patience et de compréhension. Il en faut encore plus pour nous affliger. Alors, luttons avec sérénité !
Cher fils Sebastian, Valero y Juana (toi qui me confesses ta peine en reconnaissant que ton écriture es mauvaise), je vous remercie pour l’amour que vous me témoignez.
Cher fils Anastasio. Merci beaucoup pour ton dessin. En lui je vois ton illusion.
Lauro y Alicia, je pense également à vous, et désire vous embrasser.
Benigna, tu ne me dis pas si tu as reçu le certificat que je t’ai demandé.
Marcelino Sanz Mateo
*/ Le camp de concentration dit du Ligné à Bram est situé dans le département de l’Aude au sud-ouest de Carcassonne, sur la commune de Montréal. Il est composé de 165 barraques 36000 réfugiés vont y passer, dont 17000 vont arriver en une journée, en provenance du camp de St Cyprien dans les Pyrénées Orientales. 222 vont y mourir.
**/ En arrivant à Mézin, Benigna et ses enfants sont d’abord logés à l’hôtel de la poste dit Rizzi Rocco parce qu’il est tenu par un italien, ce qu’ils vont appeler « El réfugio ». Ensuite ils sont déplacés dans une ancienne usine de fabrication de bouchons en liège.