Trentième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine Chatelard, 6 août 1939
En lisant votre lettre du 22, ma confusion est grande, vu que, toi et Alicia ne pouvez pas résister à ce climat. Je suis désolé à ce sujet, et encore plus parce que je ne peux rien faire pour vous aider. Faire ce que tu demandes ne peut pas être. Tu sais que si j’avais la possibilité, je l’aurais déjà fait. Aujourd’hui tout serait résolu. Les mots de « relocalisation, se joindre, en voyage » et tout ce que tu dis ne seraient plus utilisés. Tu es pardonnée parce que, au fond, tu n’ignores pas que nous ne pouvons rien faire, si ce n’est que de nous accommoder du le temps.
Cela ne signifie pas que le jour heureux que nous espérons tous ne viendra pas. J’espère que les demandes faites au capitaine seront approuvées pour que nous nous rapprochions les uns des autres, mettant ainsi fin au mécontentement que, selon ce que tu me dis, vous vivez dans cette ville. Pour le moment, nous devons traverser cette période de souffrance et avoir de la patience, bien que nous ne nous le voulions pas, parce que ce sont les circonstances qui dominent. Après notre souffrance, tu me dis le calvaire de « la Cinta ». Pour moi, « la Cinta » est un miroir pour se regarder avec résignation. Combien serait ‘il plus triste si nous étions séparés, sans rien savoir de nous, sans espoir de nous réunir. Le cas de « la Cinta » est à désespérer et, pourtant, elle le supporte, consciente qu’il n’y a aucun remède dans la vie. Pauvre celui qui est touché par la perte sans rémission ! Quand tu lui écriras, tu lui diras que je sens dans mon cœur sa douleur d’épouse seule en terre étrangère et sans espoir d’avoir des nouvelles de son mari.
Les mauvaises nouvelles arrivent toujours en premier et mal accompagnées. Cela m’affecte aussi beaucoup et je suis douloureusement surpris par la mort de Père. La pauvre Montserrat doit-être dans une affliction terrible, car il n’y a pas de plus grand désespoir pour une mère que de voir mourir un enfant. Et l’autre ? sûrement on ne sait rien de lui. C’est une existence de douleurs que tous les réfugiés doivent vivre ; et heureusement que, malgré tant de souffrances, nous ayons traversé la frontière, parce qu’alors, nos souffrances seraient plus grandes et plus intenses. Oui, remercions notre destin pour le fait que les lettres venant d’Espagne nous apportent de très mauvaises nouvelles, car la liberté et la justice la plus élémentaire y sont pressurées. Comme tu peux le voir, tu dois t’armer de courage pour que tu puisses ne pas manquer de force dans l’attente de temps meilleurs. Pour te résigner, à tes cotés tu as l’exemple de « la Cinta ».
D’après ce que tu me dis le cas de Valero est difficile parce qu’il est mineur. Moi je te dis que cela ne coute rien d’y regarder. Comme ils lui interdisent de jouer dans la rue toute la journée, il pourrait discrètement s’approcher de l’atelier pour voir son frère travailler et, honnêtement, il pourrait se faire voir et se faire apprécier du propriétaire, assez même pour lui donner… et pourquoi-pas ? quelque chose à faire pour aider l’un ou l’autre. Ce ne serait pas grave s’il ne le paye pas. Ce qui compte, c’est qu’il persiste avec des occupations qui pourraient lui être bénéfiques.
Envoie-moi l’adresse de l’atelier pour que je lui demande, puisque vous ne pouvez pas le faire. Je l’ai déjà demandé dans une autre lettre.
Marcelino Sanz Mateo