Soixante-troisième lettre de Marcelino, écrite de Gorze, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.
Gorze, 7 mars 1940
Avec la présente lettre je vous dis la joie que j’ai eue lorsque j’ai eu entre mes mains la tienne datée du 3. Tu me redemandes des photos. Eh bien je te les ai envoyées dans ma dernière lettre. Je pense que lorsque tu recevras celle-ci tu les auras vues et revues. Il y en a trois. Sur l’une d’elle nous sommes Juan et moi près du camion, et dans les deux autres nous deux avec le groupe. Moi je suis sorti avec la figure assombrie par mon chapeau. Ce détail mis à part, nous sommes assez bien.
Me référant à la lettre des enfants, je ne veux pas que vous formiez des colloques ni que vous commentiez à qui que ce soit ce qui est en train de se passer. Bientôt je vous dirai tout de bouche à oreille.
Benigna, je m’étonne que tu ne me dises rien au sujet d’Alicia alors que tu as écrit à Juan qu’elle a eu un léger accident. Je te prie de me raconter ce qui lui est arrivé dans ta prochaine lettre. Je suppose que quand tu recevras cette lettre elle sera tout à fait bien. Et la subvention, continues-tu à la recevoir normalement ? De même, tu ne racontes rien sur votre vie. Je souhaite qu’elle aille en se normalisant.
Nous, nous continuons sans connaître la guerre. Il nous semble même qu’il n’y en a pas. A ce sujet nous sommes très tranquilles.
Cher fils Anastasio. J’ai reçu ta lettre datée du 3, laquelle m’a réjoui en voyant que tu es en bonne santé et que tu as toujours la même volonté pour tes études. Tu satisfais ce que je désire. C’est en se comportant ainsi que les enfants arrivent à être des hommes ayant un avenir. Le studieux gagne le respect des autres et obtient des bons points. Lis autant que tu pourras parce que les livres sont des portes s’ouvrant sur le savoir. Lenfant qui n’étudie pas arrive également à être un homme, mais ayant peu de valeur. La véritable richesse de l’homme est sa culture, son éducation, trésors qui s’obtiennent en écoutant les Maîtres et en consultant les livres. Ces derniers sont les meilleurs amis de l’homme. Amis mais tu dois choisir les bons, car tous ne le sont pas. Ton père qui souhaite tant être à côté de toi pour te conseiller dans tes études, te serre dans ses bras.
Ma chère Juana. J’ai aussi reçu ta lettre du 3, tu me dis que tu souhaites apprendre le plus que tu peux. C’est pour moi une grande satisfaction parce que tu démontres ta bonne volonté pour étudier. Les études t’ouvrent le chemin qui te mènera jusqu’à être, pour toujours, une femme de valeur. Une femme peut se valoir par elle-même, mais il lui manquera toujours quelque chose…, ce que seulement les études peuvent donner. La guerre t’empêche d’être une élève assidue ; tu as entendu autour de toi plus de pleurs que de rires et vu plus de misère que de richesse. Mais sois patiente puisque tu n’as pas encore beaucoup d’années. On sait avec certitude qu’avant de sourire pour la première fois, à sa naissance l’enfant éclate en sanglots. Un jour, pas très lointain, tu commenceras à vivre ce qui peut s’appeler la vie.
Rien de plus. Mes meilleurs souvenirs pour tous ceux qui vous demanderont de mes nouvelles, et pour les dames « Engracia et Theresa ».
Marcelino Sanz Mateo