Vingt et unième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine, dans les Basse-Alpes, ou il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine, 23 juin 1939
En ouvrant votre lettre, grande a été ma surprise en vous voyant tous sur la photo que vous m’avez envoyée. Nous l’avons regardée et regardée à nouveau avec satisfaction et enchantement. Maria, Sebastian y Valero sont bien. Anastasio parait mince. Lauro et Alicia sont très sérieux et toi, la mère, hautaine comme une reine, avec les lèvres serrées. La prochaine fois que vous pourrez vous photographier, essayez de vous mettre tous pareil. De toute façon vous avez bien fait. Nous aussi lorsque nous aurons des francs nous irons nous faire photographier pour vous envoyer les photos. Nous aurons au moins la petite satisfaction de nous emmener les uns les autres dans la poche.
Au sujet de ce que tu me dis sur la politique concernant les réfugiés, tu sais ce que je dis dans toutes mes lettres : ne t’enflammes pas, et ne te précipites pas, le temps soigne les blessures. Ecoute ce qui se dit : On ne peut pas dire avec le temps passé ce qu’ en tout temps on ne peut faire. Il faut prendre les choses calmement. Je vous joins la lettre que j’ai reçue du village pour que tu puisses voir ce qu’ils disent. Lis-la et relis-la attentivement et après dis-moi ce que tu en penses. Voyons si nous pouvons voir ce qu’ils veulent nous dire. Cela me parait très compliqué. J’ai reçu cette lettre qui était avec celle qu’a reçue Ignacio Hernandez. Voici la copie exacte :
Mon cher Frère. Je serais très heureuse si lorsque tu recevras cette lettre tu te trouvais en bonne santé (grâce à Dieu). Marcelino, « le Tamel » est ici avec nous. Jusqu’à présent nous sommes tous les trois en bonne santé. Martina est partie et nous n’avons aucune nouvelle, ni d’elle, ni de son frère. On nous a dit qu’elle s’est mariée avec un « Asturien » mais, mais n’y prête pas attention. Prends soin de toi d’abord. Je vous envoie le bon souvenir de ta mère et de tes sœurs. Reçois un million de baisers et d’embrassades de celle qui t’aime et ne t’oublie pas un instant.
Josefa Sanz, Manuela Hernandez y Tamel.
Dimanche dernier j’ai envoyé une lettre à ma sœur Isabel*. Peut-être que nous allons avoir clairement des nouvelles de la famille et de l’Espagne. Ne leur écrivez pas, je vais m’en charger. Maintenant, je vais répondre à la lettre que j’ai reçue. J’essaierai de leur faire comprendre que je saisis ce qu’ils veulent me dire. Cette lettre me plonge dans l’incertitude. Je n’arrête pas d’y penser parce que je n’arrive pas à la comprendre. Peut-être allez vous y arriver. Cependant, j’ai plus ou moins une idée. Lorsque vous me répondrez dites-moi ce que vous avez compris de son contenu. Je vous dirai si vous pensez la même chose que moi. Peut-être qu’entre nous nous allons démêler ce sac de nœuds. Le 23 après-midi nous ne travaillons pas parce que nous allons nous doucher. Dimanche on nous a injecté un vaccin. J’ai eu mal au dos pendant deux jours, mais aujourd’hui je vais tout à fait bien. On raconte que bientôt nous serons vaccinés encore une fois. Si c’est bien vrai que l’on souffre un peu, cela vaut la peine d’échapper aux maladies. Les compagnons du baraquement « les Sulema » ont déjà les papiers en règle pour partir en Espagne. Il ne leur manque seulement que le visa des autorités françaises. Nous pensons qu’ils seront prêts bientôt. Grâce à eux nous pourrons facilement obtenir des nouvelles du village.
Mes chers enfants. La prochaine fois vous m’écrirez tous. Je serai content d‘apprendre comment vous étudiez et comment vous jouez. Dites-moi aussi si le climat vous plait là ou vous êtes, parce qu’il me semble plus frais que le nôtre.
Sebastian, si tu continues à ne pas pouvoir travailler, essaie d’écrire beaucoup parce que tu es très en retard en orthographe. C’est pour ton bien que je te réprimande. Je pense que tu vas m’obéir. N’oublie pas que la connaissance ne prend pas de place.
Sans rien d’autre à vous dire, ceux du village envoient leur salut à tous les espagnols qui se trouvent avec vous.
Et « la Galera », as-tu des nouvelles de son mari ?
Marcelino Sanz Mateo
*/Marcelino était le seul garçon de la famille. Il avait encore cinq sœurs au village.