Extrait d’une lettre de Juan, le gendre de Marcelino et époux de Maria sa fille, écrite de La Condamine le 7 juin 1939 à sa sortie de prison où il a été incarcéré après son évasion du 13 mai 1939.
La Condamine Chatelard, 7 juin 1939
…Depuis hier après-midi, je me trouve à nouveau en compagnie de notre père et autres compagnons…
Ne t’effraie pas, mon amour, en lisant ce qui suit. Sincèrement, je ne te cache rien. Hier, à cette heure-ci, j’étais dans la prison de la caserne. Le motif de mon emprisonnement de vingt jours est le suivant : comme tu sais, notre père et moi et beaucoup d’autres compagnons, nous nous sommes enrôlés volontairement le 10 avril dans la compagnie, la 11
ème de travailleurs, sous le commandement militaire, parce qu’ils nous promirent de nous réunir avec notre famille.
Découvrant où ils nous ont amené en nous trompant, et apprenant que je ne peux pas te faire venir, et qu’ils me payent si peu qu’il m’est impossible de t’aider, j’ai pris la décision de déserter.
Le samedi 13 mai, à huit heures et demie de l’après-midi, je me suis enfui d’ici à pied en passant par la montagne, avec en poche seulement l’argent économisé pour m’acheter de quoi manger. J’ai marché cinq jours et cinq nuits, sans pour ainsi dire m’arrêter, direction l’adresse de mes oncles pour, aller chez eux, tâcher de te faire venir et de partir les deux en hameau rural.
Malheureusement la chance ne m’a pas accompagné. Le 17, à sept heures du matin, alors que je traversais un village près d’où vivent mes oncles, un gendarme me vit et m’arrêta. Ils m’emportèrent à la prison de la caserne du village, situé à 8 kilomètres du campement…
Hier à trois heures de l’après-midi, un gendarme est venu me sortir de prison… En entrant dans le mess des gendarmes, le commandant se leva de table, me salua et me serra la main. Il pardonna mon acte puisque j’avais déserté afin de pouvoir t’étreindre dans mes bras, et, par la suite, il me nomma chef des interprètes.
Les gendarmes m’informèrent que le gouvernement français a créé les compagnies de travailleurs espagnols (CTE) afin de nous sélectionner. Les autorités veulent connaitre nos aptitudes, et savoir qui est « bon » et qui est « mauvais ». Aux bons on leur donne un document grâce auquel ils pourront vivre et travailler en France. Ils me disent que sûrement en Août on nous donnera quelques jours de permission pour pouvoir aller voir la famille ; qu’en ce moment ce n’était pas chose facile…
Nous verrons après si ce qu’ils disent est vrai…
C’est durant les vingt jours passés en prison que j’ai le mieux mangé et été le mieux soigné depuis que je suis en France…