Lettre de Marcelino du 12 août 1939

La Condamine Chatelard, 12 août 1939

Vos lettres du 5 et du 8 me réjouissent car je vois en elles la joie que vous avez en apprenant que la permission que nous avons sollicitée cela fait longtemps a été approuvée. Cependant, nous ne savons pas s’ils vont nous accorder notre rapprochement. Nous attendons résignés, en nous disant : « mieux vaut un tien que deux tu l’auras ». Ce qui me réjouirait aussi est que « la Galera » et ce qui la concerne aient beaucoup de chance. Si tu écris à « la Cinta » n’oublie pas de lui dire que je suis désolé qu’elle soit toujours sans nouvelles de son mari. Tu ne dis rien de « la Pepa », ni « de Monserrat ». Ne sont-elles pas ensembles ? tu ne dis rien non plus de José, ni de « Rafos ».
Je suis très peiné que vous ayez eu un tel orage. C’est bien dommage parce que, peut-être, il a porté préjudice aux personnes avec lesquelles vous avez des relations, je me réfère au manger. D’après ce que vous me racontez, je crois que votre région a un climat plutôt tempéré, puisqu’on y récolte du raisin. Si son climat était aussi froid que celui d’ici, la vigne ne pousserait pas. Par conséquent, vous devez avoir plusieurs sortes de fruits.
A ta question concernant « Estéban », saches qu’il a écrit. Il me dit que maintenant il a plus de liberté. Ils vont jusqu’à les laisser sortir du camp le dimanche, mais on constate encore qu’ils sont très surveillés. Lui aussi voudrait s’en aller au Mexique. Il vous envoie son bonjour.
Mon cher fils Sebastian. Avant tout je te remercie pour la joie que tu m’as donné en me disant qu’on t’a donné une bonne note concernant la soudure. Eh bien, il ne tient qu’à toi de devenir un homme bien. Si le patron remarque que tu travailles bien, et, qu’en plus tu le fais intelligemment, sûrement qu’il te récompensera. Alors ton devoir sera d’y mettre du tien, tout ce que tu pourras faire pour apprendre jusqu’à devenir un professionnel. Plus tu sauras, mieux ce sera ; « abondance de biens ne nuit pas ». Tu ne me dis plus rien sur les leçons que Valero et toi vous vous donniez. Eh bien, continuez à le faire car plus on apprend quand on est jeune mieux c’est, puisque c’est là que le savoir s’enracine le plus profondément. Les moments où vous êtes libérés du travail et des jeux, échangez entre vous des questions et des réponses. Regardez si vous pouvez obtenir un dictionnaire car ce serait pour vous un avantage notable pour étudier, parler et écrire. Voyons si au bout de six mois vous arrivez à comprendre quelques peu la langue française. Bien l’apprendre sera pour vous très profitable, d’autant plus que nous ignorons qu’elle sera notre demeure. Eh bien oui, sans attendre demain vous devez étudier avec ardeur afin d’arriver à être des hommes accomplis.
Sebastian, ton travail doit être stimulant afin que tu arrives à être mécanicien. Je te dis cela pour bien des raisons. Une, parce que, étant bon mécanicien tu ne manqueras pas de travail. Deux, parce que c’est un métier qui j’en suis sûr en cas de guerre ne te conduiras pas au front vu que la nation aura besoin de ton savoir-faire et de ton expérience pour accomplir des tâches productives.
Saches qu’aller au front est la chose la plus terrible de la guerre. Je n’y suis allé que quelques heures lesquelles m’ont servi de leçon pour toute ma vie. Si cela se peut, ne vas pas aux tranchées. Comme père et pour l’amour que j’ai pour vous, je me sens obligé de vous donner ces conseils, mais que personne ne croit que ce soit par lâcheté. Pour éviter la barbarie du front sans cesser d’être brave, autant toi Sebastian, que tes frères, mettez le plus grand intérêt à apprendre un bon métier. Etudiez et travaillez en écoutant les avertissements des plus grands et en consultant les méthodes nécessaires.
Ne faites pas comme ces compagnons qui, selon ce que vous me dites ne font rien de la journée ; si vous voulez arriver à être des hommes qui, grâce à leurs savoirs peuvent obtenir assez de ce qu’ils veulent. Sans avoir une mine rébarbative, ne leur donnez pas votre confiance car, à celui à qui tu révèles ton secret, tu donnes ta liberté. Ce ne sont pas ces amis qui doivent vous conseiller, mais votre père, lequel veille sur vous pour que vous soyez toujours honnêtes. Aujourd’hui vous ne donnez pas de valeur à mes conseils parce que vous n’avez pas la maturité nécessaire pour comprendre les choses de la vie. Cependant, si vous n’avez pas la volonté d’étudier, un jour vous pleurerez en pensant à ce que votre père est en train de vous dire. Etant l’ainé, c’est toi, Sebastian, qui doit garder en mémoire ces conseils pour les enseigner plus tard à tous tes frères.

Marcelino Sanz Matéo