Trente-septième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses-Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine Chatelard, 14 septembre 1939
Même si dans votre lettre du 8 tu me dis que tu es forte, j’ai l’impression que tu es allée à l’hôpital, parce que c’est la pire des choses qui puisse nous arriver quand nous avons besoin de plus de santé que jamais. Le rhumatisme est une maladie très longue. Il attaque au mauvais endroit, mais je suis convaincu que tu t’es bien rétablie pour continuer à lutter contre notre malchance. Essayez de ne pas toucher l’eau froide. Evite-la de toute tes forces parce que je sais que c’est un poison pour tes os. Prends bien soin de ta santé afin qu’au jour ne notre union nous oublions tout ce qui s’est passé depuis notre évasion de chez nous. Débarrasse-toi du désespoir que tu as en regardant et en écoutant ce que nous avons vécu, et maintenant, ce que nous traversons en France.
On sait que parler trop du temps, c’est perdre son temps. Toi-même tu te conformeras en étudiant avec intelligence ce que tu dois et peut faire pour vaincre le désespoir. Lorsque le jour viendra, et il arrivera ! que tout cela sera fini, nous profiterons avec plus de désir du temps qui nous reste, vivant comme des êtres humains. Pour tout cela, je te prie de prendre ton mal en patience et de méditer cette leçon, encore une des nombreuses que je t’ai donné, et tu verras comment tu vivras plus protégée par ta santé. Ne désespère pas. Récupère ta santé, comme le reste, avec patience et beaucoup de travail. Pour te rendre heureuse, et te faire abandonner ta mauvaise humeur, je te chante cette « Jota* » :
La femme mise en amour,
jette plus de feu que la foudre,
et mise en détestation,
d’une puce fait un cheval.
Jette les douleurs dans l’air. Revêts-toi de sérénité et garde confiance, c’est ce qui moi, me fait vivre. A quoi bon dire « il vaut mieux mourir », sachant que nous devons tous mourir ?
Une chanson dit :
La peine est en train de me tuer
Et le monde continue de tourner
Par conséquent, le génie et la figure à la tombe. Puisque, cahin, caha, nous devons marcher, nous marchons en regardant devant nous, et pas découragés ou maudissant la route pierreuse.
Tu ne me dis pas si les réfugiés qui vous ont rejoints sont espagnols ou français. Si comme tu me le dis, vous êtes seul dans une maison, je pense que vous serez bien. Tu me diras comment ils vous fournissent, ce que vous avez pour dormir et si vous avez des besoins et de quoi vous habiller. Dites-moi si vous avez reçu les deux paquets que nous avons envoyés, un Juan et un autre moi. Le mien contient deux maillots de corps, un slip (de ceux que j’ai amené de la Junquera), trois pulls et des pantalons pour Sebastian, que « le Sésé » m’a donnés.
Tu me dis que je suis très vieux. Eh bien, je n’ai que 45 ans et j’ai beaucoup de force avec laquelle, malheureusement, je ne peux pas faire ce que je ferais si j’étais à vos côtés. Je le veux vraiment mais je ne peux pas l’avoir. Heureusement, j’ai de l’espoir et la patience nécessaire. Tu me demandes ce que nous faisons. La même chose : travaillant toujours dur la même route. Comme je te l’ai dit, nous serons bientôt déplacés car nous sommes près d’avoir terminé la chaussée. Nous ne savons toujours pas s’ils nous descendront où se trouve Juan.
Tu te plains que les enfants sont agités. C’est une bonne nouvelle qui me rend très heureux parce que ce que je ne veux pas, c’est qu’ils soient trop calmes et trop chétifs. Comme les petits animaux, les enfants doivent être en mouvement.
Mon cher fils Sebastian. Ta lettre du 16, me rend heureux, puisque tu es en bonne santé, et je suis désolé que tu ne puisses pas travailler dans ton métier parce qu’étant étranger. Un jour viendra où nous pourrons t’instruire. Ne perds jamais la passion qui sera notre avenir. Maintenant que, bien sûr, tu es au chômage, essaye de faire quelques leçons, ce qui te permettra d’apprendre, parce que tu as trop de retard en écriture ; et il serait même moche qu’un homme qui veut devenir mécanicien ne sache pas percevoir qu’il a une écriture si mauvaise, et qu’il fasse tant d’erreurs en écrivant pour ne pas avoir à prêter attention à l’importance de l’enseignement.
Mon cher fils Valero. Malgré ta malchance, je suis heureux parce que tu me montres ton ressentiment de ne pas avoir pu (pas même essayé) de travailler avec ton frère, l’un pour apprendre et l’autre pour contribuer au mieux-être de tout le monde. Etant donné qu’à cause du changement de la situation, cela ne peut pas être, je te demande, bien sûr et encore une fois, que tu essaye d’étudier, en particulier le calcul. Un jour, tu verras la magie et l’importance qu’ont les chiffres.
Ma chère fille Juana. Ta lettre m’a donné grande satisfaction. Je vois que tu as de la bonne volonté. Toi aussi, étudie tout ce que tu peux.
Mon cher fils Anastasio. Tu ne peux pas imaginer qu’elle est ma joie quand je reçois ta lettre. Merci pour tes vœux de santé, que j’ai bonne. Prends soin de la tienne. Maintenant que tu peux jouer et étudier tout le jour, fais l’un sans jamais quitter l’autre.
Marcelino Sanz Mateo
*/chant et danse d’origine Aragonaise et Navarraise.