Quarante et unième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses-Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine Chatelard, 17 octobre 1939
Grande a été ma joie quand j’ai reçu votre lettre du 10. Savoir que Sebastian s’est bien comporté avec ses frères et qu’il a donné toute satisfaction à ses patrons, est pour moi un réconfort.
Benigna, tu désires que Sebastian reste dans la ferme où il a vendangé. Eh bien, qu’il fasse ce qui lui semble le mieux. Puisqu’il n’y a pas la possibilité ni les moyens pour qu’il travaille dans un atelier, nous devons nous faire une raison jusqu’au jour où nous pourrons mener notre barque. Tu sais que je suis toujours prêt à te donner raison, puisque, ne vous voyant pas, je ne puis donner mon avis sur ce que vous devez faire. Ne pouvant commander, je me contente de vous conseiller le mieux possible. Dis aussi à Maria, Valero et Juana qu’ils se comportent comme il se doit afin de démontrer aux Français que nous avons de l’éducation, et que nous savons accomplir respectueusement la parole donnée. Un conseil profite plus aux petits qu’aux grands.
Tu prétends que je sortirais de ce camp si un Français me réclamait pour travailler. Alors, si vous connaissez une ferme qui cherche, même un manœuvre, j’accepte l’offre. Renseignez-vous, et si vous avez de la chance de me trouver un emploi, quel qu’il soit, je suis prêt à partir d’ici, même en marchant. La chose primordiale est de m’approcher de vous. Si par l’intermédiaire de Sebastian, ou de Maria, vous trouvez dans votre contrée un patron qui cherche à engager quelqu’un, je me propose pour effectuer toutes sortes de travaux de ferme, ceux des champs et ceux concernant les animaux. Si jamais l’un des intéressés exige des renseignements sur ma personne, connaissant mon adresse il peut les demander au capitaine Vidal, lequel est le chef de notre compagnie, et a le droit de lui donner les détails qu’il désirera sur ma conduite.
A propos du document que tu me réclames, je te l’enverrai lorsque Juan enverra le sien à Maria, économisant ainsi un timbre. Nous étions au courant des démarches que tu nous demandes.
Qui sont ceux qui vous ont dit qu’on nous intégrera au camp d’Argelès sur mer ? Quoique ne sachant rien de cela, nous ne croyons pas que ce que tu nous racontes se produira.
Je dois te dire que j’ai reçu une lettre d’Espagne, laquelle ne me dit rien clairement. Le plus étrange est qu’elle a été postée à Saragosse. Nous tous pensons que là-bas règne une grande répression. Que font-ils du pardon et de la miséricorde du Christ ? Donc, nous ne retournerons pas en Espagne en aucune manière. Tu m’implores d’écrire à la famille. Je me garderai bien de le faire directement ! Je vais voir si je peux communiquer avec eux sans leur donner mon adresse ni mon écriture. Même en prenant des précautions, je crains de les compromettre plus que selon moi ils le sont.
Aujourd’hui même je t’envoie un colis de vêtements : un pantalon, un gilet, une veste et un morceau de savon. Ce sont des choses dont je n’ai pas besoin. J’ai encore deux paires de chaussettes emportées de la maison. Pour l’instant, tu n’as pas à te mortifier pour moi car je ne nécessite rien, rien si ce n’est ta compagnie et celle de nos enfants. Nous attendrons le temps qu’il faudra pour nous occuper des fils qui sont à tes côtés.
Enfin on a changé d’endroit ! On nous a fait descendre dans un village et logé dans huit maisons qui n’étaient pas occupées. Ici, la température est meilleure*. C’est Juan qui nous ravitaille avec son camion. De sorte que tous les jours nous restons un moment ensemble. Voilà huit jours, lui-même m’a photographié avec mes compagnons de marabout.
Nous ne pouvons pas nous plaindre de l’intendance.
Marcelino Sanz Mateo
*/ Marcelino et ses compagnons seront restés sous des tentes marabout entre le 1er mai 1939 et le 15 octobre 1939 et cela à 2058 m d’altitude.