Lettre de Marcelino du 18 juillet 1939

Vingt-cinquième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine Chatelard, 18 juillet 1939

Je réponds à vos lettres du 14 et 15 juillet, dans lesquelles, j’ai pu constater que vous êtes en bonne santé et c’est que je souhaite le plus. Ce qui est triste, c’est que tu me dis que votre situation est mauvaise et je ne peux t’aider qu’en te disant dans mes lettres que tu aies de la patience. Courage, ceci finira bientôt et quelque chose va se passer qui viendra changer en bien notre mauvaise situation. Cela ne sert à rien de bouder. Le besoin ne connait pas de loi, alors sans faire de mal à personne, essayez de gagner tout ce que vous pourrez afin de vous acheter ce qui est vital.
Juan a reçu la permission de pouvoir aller chez son oncle et sa tante.
Maintenant il va demander la procédure d’embarquement avec l’espoir qu’ils vont lui accorder ou, au moins, qu’il sera pris en charge. Moi je n’ai pas encore commencé parce que j’espère qu’ils nous donneront ce qu’ils nous ont promis. Ce que nous devons savoir, est s’ils nous regrouperont avant d’embarquer. Si après une semaine ils ne répondent pas, nous ferons plus de demandes. Dites-moi vite tout ce que vous savez sur cette affaire.
Nous aussi avons également eu une grande fête. Ils nous ont donné un bon repas. Des matchs de football, du tiré de corde, des courses et un concours de marabout a été organisé. Le nôtre a gagné un prix, deux bouteilles de bière plus un paquet de tabac.
Tu me diras si les familles qui vont à l’étranger paient pour le voyage ou si elles demandent seulement. Renseigne-toi du mieux que tu peux. J’imagine qu’avec autant d’Espagnols, il est logique qu’il y ait une famille qui pense (et même s’informe) à partir à l’étranger sans obligation de payer le voyage. S’il y en a dis-moi comment procèdent-ils.
Tu me dis que tu as des douleurs osseuses ou des rhumatismes, et tu me demandes si je souffre du dos. Je me sens de cinq ans plus jeune et que je n’ai aucune douleur de ce type. C’est pourquoi je suis doublement désolé pour tes douleurs.
En ce qui concerne la situation en Espagne, nous la voyons si mauvaise et si difficile que seule une contre révolution pourrait y remédier. Mais cette solution nécessiterait plusieurs jours et de nombreuses victimes.
Tu me rappelles que notre fille Alicia a quatre ans. Je lui ai envoyé des félicitations et toi donnes lui un très fort baiser de ma part. C’est tout ce que nous pouvons faire, en espérant que nous pourrons mieux célébrer son prochain anniversaire, en lui offrant notre présence comme plus grand cadeau.
Revenons à la lettre embrouillée que j’ai reçu d’Espagne. Après beaucoup de réflexion, j’en déduis que cette Manuella est Rosario, et le Tamel est le Chulo.
La Martina est Marta, qui doit être morte à Valencia, et son frère (le fils de Rosario) est le garçon qui est mort. Mon père doit être mort puisqu’ils ne parlent pas de lui et m’envoient seulement des souvenirs de ma mère. Bien que rien ne transparait, la lettre montre la répression et la peur qui règnent au village. Plus j’y pense, et moins j’ai envie d’écrire pour ne pas les compromettre. Ne réponds qu’à la lettre d’Ignacio el Valenciano, quelques lignes en leur disant que nous allons bien, et c’est tout.
Cher fils Sebastian. Tout d’abord je te souhaite une bonne santé, puisque tu en as besoin, et puis je t’assure que ma pensée est en harmonie avec la tienne. Nous irons au Mexique pour nous débarrasser d’une autre guerre et avoir un meilleur avenir. Au sujet de l’atelier, tu me dis que tu es très à l’aise, ce qui me fait me demander pourquoi il serait dommage de te sortir de ce travail, étant la première fois dans ta vie que tu as l’occasion d’apprendre beaucoup, comme tu le dis.
Valéro. Tu m’avoues enfin le travail que tu as l’intention de faire. Je vais te dire que ce travail n’a pas d’avenir en raison de son manque de développement*.
Sebastian peut, s’il s’applique dans le sien, être mécanicien. Je te dis cela, mais fais ce que tu veux faire, même si je te répète que ce que tu aimes je n’appelle pas cela du travail. Je ne veux pas un jour que tu dises que ton père s’est opposé à ta volonté quand tu étais assez vieux pour choisir ton chemin.

Marcelino Sanz Mateo

* (Valero voulait être coiffeur)