Cinquante-cinquième lettre de Marcelino, écrite de Gorze, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.
Gorze, 20 janvier 1940
Cette lettre répond à la vôtre du 16, laquelle m’a réjoui en voyant que vous êtes en bonne santé et que vous avez repris courage. Je ne comprends pas pourquoi tu t’affliges en sachant que je dois laver mon linge et que je vois moins souvent Juan. Arrête de ne voir que les inconvénients ! Tu sais bien que personne ne lavera mon linge à ma place. Et, comme il y a tant de compagnies, Juan a beaucoup plus de travail. Crois-moi, tu n’as pas à t’en faire pour moi.
Le plus grand et le plus difficile problème à résoudre est celui de votre situation et cela parce que vous êtes plus faibles physiquement. Votre affaire résolue, tout deviendra parfait parce que je me débrouillerai toujours d’une façon ou d’une autre, et cela d’autant plus lorsque je me sentirai tranquille.
Je sais que pour vous ça ne peut pas être aussi facile, et encore moins si le rhumatisme te reprend. Si tu deviens impotente, alors oui, ce sera du sérieux. Je crois que si le rhumatisme te gène, c’est la faute à votre literie misérable et, par conséquent, pour le peu de literie que vous avez afin de vous couvrir. Fais le possible pour acheter une ou deux brassées de paille. Tu verras que si tu as suffisamment de paille, tu auras moins froid parce que tu pourras mieux envelopper les pieds qui sont la partie du corps qui souffre le plus en hiver. Surtout fais tout ce qui est à ta portée pour te préserver du froid et pour pouvoir résister jusqu’au printemps. Le soleil soulage beaucoup les misères. Pour remplacer le manque de couvertures, tache d’avoir de la paille en abondance. Ainsi, sans rendre malade ta bourse qui est très faible, tu guériras ton corps.
Tu me réjouis en me disant que Sebastian est venu vous voir. Au moins tu as tous tes fils à côté de toi, chose que toutes les mères ne peuvent pas dire. En plus, ça nous tranquillise de savoir qu’il a eu de la chance d’être tombé dans cette bonne maison. Il travaille beaucoup mais en vivant bien. Il n’y a pas de pays de cocagne. Je veux écrire à ses patrons afin de les remercier pour le bien qu’ils le traitent. Tu me dis que je demande avec insistance un emploi d’agriculteur, puisque « qui ne demande rien n’a rien ». Eh bien, jusqu’en mars il est inutile d’essayer car cette région est très froide comme doit l’être toute le France vu que tu me dis qu’où vous êtes il gèle beaucoup et que la pluie perdure bien des jours et des nuits « Aux chevaux maigres vont les mouches ». Soit ! Mais il n’existe rien qui n’ait une fin.
Alors armez-vous de patience et de courage.
Marcelino Sanz Mateo