Vingtième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine, 20 juin 1939
Tout d’abord, je dois exprimer la mauvaise impression que m’a fait votre lettre du 15, en voyant l’aggravation de votre état. D’abord, je suis désolé pour le travail de notre fils Sebastian, qui, je suppose, vous a contrarié. Je suis doublement désolé, d’abord pour don apprentissage et ensuite parce que vous perdez son aide, si petite soit-elle, quand vous en aviez tant besoin.
En ce qui concerne ma situation, vous ne devez pas souffrir, puisque Juan et moi, nous ne souffrons d’aucun mal, et même nous grossissons, à cause de l’air sain d’ici. Ne vous occupez pas de nous. Je me considérerais heureux si je ne me demandais pas avec anxiété : « Si Sebastian ne travaille pas, il vous manquerait l’essentiel pour manger et vous habiller, puisque sans argent on n’obtient rien dans ce monde ? » Comme un mal ne vient jamais seul, malheureusement, Juan comme moi-même, ne pouvons rien vous envoyer si nous ne sommes pas payés d’avantage, parce qu’ils nous donnent seulement de quoi vous envoyer notre amour par la poste. Le reste dont nous n’avons pas besoin puisqu’ils nous donnent le gite et le couvert. Nous vivons en pensant vous envoyer les francs dont vous avez besoin et que nous n’avons pas pour l’instant, malgré le fait de travailler toute la journée. Cependant, ce n’est pas une chose sans fin. Comme je te l’ai dit à plusieurs reprises, je te demande de nouveau d’être sereine et les connaissances suffisantes pour supporter la situation présente. Réalise que nous sommes en faveur et que celui qui vit des faveurs doit endurer la servitude. Prends-le avec patience, avec le temps tout s’arrange. Sois calme. Bien que tu aies entendu que vous alliez être transférés dans un camp et que tu sais que trois cents réfugiés retournent en Espagne, n’ai pas peur et ai l’espérance que j’ai moi-même. Ma consigne est : attends, quand une porte se ferme, une autre s’ouvre.
Concernant le voyage au Mexique, sur dix que nous sommes dans la tente, seuls Juan et moi-même avons signé. Les autres ont leur famille en Espagne. Ils préfèrent attendre une amnistie et rentrer chez eux. Sur les cinquante que composent notre section, nous ne sommes plus que dix-huit à vouloir partir en Amérique. Donc si nous calculons la moyenne pour la compagnie dans son ensemble, nous ne sommes que le tiers des hommes à être prêts à émigrer pour la deuxième fois. Maintenant, nous les volontaires devront attendre le jour de l’embarquement. Et nous partirons même si cela nous fait du mal. Le sort en est jeté, et celui qui ne se risque pas, ne traversera jamais la mer. D’ici là, nous ne pouvons rien faire. Ils doivent nous donner le feu vert ; donc je vous tiendrai au courant et vous guiderai quand je le pourrai sur cette question importante.
Mon cher fils Sébastian. Ta nouvelle du 15 m’a causé beaucoup de chagrin parce que je comprends le ressentiment que tu as de ne pas pouvoir continuer dans l’atelier par ordre des autorités. C’est un malheur pour tous. D’abord pour toi, puisque tu ne peux pas t’instruire, et deuxièmement, pour ne pas être en mesure de réaliser le désir que tu avais d’aider ta mère et tes frères, choses qui nous rendaient si heureux. Que cela ne t’empêche pas d’écouter ton père. Ne désespère pas. Supporte les désagréments avec patience, patience jusqu’à ce que nous soyons libres et ayons les moyens de nous occuper de vous comme vous le méritez jusqu’à votre complet développement, objectif que vos parents n’abandonneront jamais. Je te charge de dire à tes frères que vous avez un père qui ne dort pas une nuit sans penser à l’éducation de tous, pace que je veux que, quand vous serez majeurs, vous ayez les moyens de vivre une vie moins esclave que la mienne. Le problème est que si nous ne travaillons pas, nous ne pourrons pas vous donner l’éducation nécessaire. Pour l’instant, courage malgré notre infortune. Soyez bons : la bonté peut-être une arme contre la méchanceté des hommes.
Marcelino Sanz Mateo