Quarante-troisième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basse-Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine Chatelard, 30 octobre 1939
Tu me prie de t’écrire par retour de courrier. Crois-mois, c’est ce que je fais toujours. Il est étrange que vos lettres mettent moins de temps à me parvenir que les miennes à vous ! Je ne sais pas à quoi cela est dû, puisqu’elles parcourent la même distance…
Continue à faire tout ce que tu peux pour voir si, grâce aux uns et aux autres, nous pouvons obtenir que j’aille travailler de votre côté ou, au moins, de pouvoir me rapprocher.
A propos de l’argent, eh bien, finalement tant que nous demeurerons ici nous n’en manquons pas, si ce n’est pour vous en envoyer. Cependant, si jamais on nous laissait partir, alors oui, nous en aurions besoin pour le voyage. Vous ne nous l’enverrez que dans ce cas précis. En fait, si par médiation de Sebastian ou de Maria, vous trouverez un patron qui nous réclame, c’est vous qui serez les premiers au courant. Etant nous deux complètement à l’écart de la vie civile, c’est vous qui pouvez avoir la possibilité de nous ouvrir la porte de la liberté.
Je suis heureux que vous, mes fils et mes filles soyez revenus des vendanges en ayant de belles couleurs, pleins de santé et contents de la façon que vous ont traité les patrons et leur personnel. Lorsqu’il faisait ici mauvais temps, j’avais beaucoup de peine en pensant que vous ne pourriez pas supporter la pluie persistante.
Cher fils Sebastian. Je réponds à ta lettre datée du 24. Je vois que tu as eu beaucoup de chance en ayant été vendanger, puisque tes patrons t’ont bien traité, et veulent même que tu ailles travailler dans leur propriété. Tu ne peux pas t’imaginer le degré de ma satisfaction en apprenant que tu as su t’acquitter de ton devoir. J’espère que tu continueras à te comporter comme tu l’as fait. Ne te crève pas au travail, car « plus fait la douceur que la violence ».
Ne te mêle pas bêtement aux discussions sur la politique, car c’est où s’élèvent ceux qui sont méchants et où s’écroulent ceux qui sont bons.
Nous à partir d’aujourd’hui, nous devons être neutre parce que nous avons souffert suffisamment pour mériter le droit de manger, travailler et dormir en paix. Cela dit, moi, je ne veux plus participer aux discussions politiques de mes compagnons, puisque je me rends compte que chacun de nous pense à sa façon. Il n’existe pas de vraie union entre nous. Nul ne peut avoir tort. Tous nous prétendons détenir la vérité réelle. Comme on dit habituellement : « tant de têtes, tant d’opinions ».
Chers Valero et Juana. Merci pour votre lettre. Maria, je te suis reconnaissante pour ton aimable lettre, et je te félicite pour le soin que tu témoignes à tes frères.
Dans le colis que j’ai reçu il manque un morceau de savon.
Marcelino Sanz Mateo