Cinquante-septième lettre de Marcelino, écrite de Gorze, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.
Gorze, 31 janvier 1940
Je réponds à la votre du 29. En elle je vois que vous avez la santé et vous vous entêtés pour venir à bout des démarches relatives à notre union. Je sais qu’elles sont entre de bonnes mains. Vous me réjouissez également en m’annonçant la bonne nouvelle concernant Maria*. Benigna, d’après ce que tu m’écris, je pense qu’elle a eu de la chance en trouvant un emploi, et cela d’autant plus en sachant que, quoique n’y travaillant que depuis quelques jours tout le monde est content : elle, sa patronne et vous. Moi aussi je le suis parce que son travail ne peut pas être aussi dur que celui des champs. Il vient de s’accomplir ce que je désire tant : que chacun de vous avance en améliorant sa vie. Avec plus de temps nous arriverons à ce que j’aspire depuis toujours : obtenir le bien-être en gagnant suffisamment pour vivre comme la nature l’exige. Mes conseils seront inutiles si nous ne luttons pour maintenir la santé et la patience indispensables afin de pouvoir jouir heureux en famille des jours que nous réserve le destin. Moi je suis toujours le même, donc, vous connaissez ma forme de penser et savez ce que j’ai toujours dit : le temps mûrit tout.
Tant que nous aurons la santé, nous pouvons nous considérer heureux. L’argent s’obtient seulement de trois façons : en héritant, en le volant ou à la force du poignet. Nous, nous avons droit à la troisième solution, puisque nous avons tout perdu, tout sauf l’honnêteté.
Juan vient chaque jour au campement avec le ravitaillement. Aujourd’hui-même nous sommes restés ensemble un long moment. Lui aussi m’a raconté ce qui est arrivé à Maria, chose qui nous a amusés, puisqu’elle narre qu’elle est dégoutée des gâteaux ; qu’elle a mal à l’estomac rien qu’en les voyant où qu’elle aille dans la pâtisserie. L’exception confirme la règle. Jamais Maria n’aurait cru que le jour où nous manquerions de pain elle se rassasierait de gâteaux. La preuve que dans la vie tout peut arriver. Voilà pourquoi quand on se trouve mal, on ne doit pas désepérer car, quoique la vie soit courte, elle est assez longue pour que nous soyons, un jour ou l’autre heureux. Celui qui se désespère au point de perdre l’esprit perd l’occasion de profiter du bonheur futur.
C’est comme une loi : on doit supporter la souffrance, quand celle-ci se présente, afin de vivre avec plus de désir ardent les jours heureux. A quoi nous servirait la bonne vie si nous n’avions plus la force de vivre ? Quel est l’avantage d’avoir ce qu’on n’a pas pu avoir, ou qu’on a refusé d’avoir.
A propos du froid qu’il fait ici, eh bien, ne vous chagrinez pas car nous le combattons en ayant le dessus. Nous avons une bonne baraque avec un bon poêle en son centre. Nous sommes 17 dans chacune d’elles. Nous dormons sur des lits en bois et des matelas en paille. La nourriture est acceptable. Le travail est peu important et nous avons beaucoup de tranquillité. J’ai du temps de reste pour laver et raccommoder les vêtements et repriser les chaussettes et les gants. Je suis devenu un repriseur de première catégorie.
Marcelino Sanz Mateo
*/ Par l’intermédiaire de « Ramon », le fils de Madame « Engracia », Maria fut embauchée comme aide dans la pâtisserie où il était chef pâtissier.