Lettre de Marcelino du 4 avril 1940

Soixante-septième lettre de Marcelino, écrite de Gorze, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.

Gorze, 4 avril 1940

Dans votre lettre du 1er je me rends compte que vous êtes bien et que l’amélioration de votre situation continue de progresser. Je n’en demande pas plus pour l’instant. Benigna tu te plains que tu as besoin de beaucoup d’argent car tout est très cher. Moi je ne t’impose rien concernant l’administration de l’argent. Je t’ai seulement donné mon opinion sur ce sujet, opinion qui ne varie pas. Je pense que nous ne devons dépenser le peu de francs que nous avons que pour des choses qui même étant utiles, sont indispensables. Nous devons éviter de faire un emprunt à intérêts, puisque nous savons très bien tous deux, pour avoir été punis, que payer de l’argent c’est se casser les bras. La première nécessité de l’homme est de se nourrir afin de conserver la vie. On dit bien : « il est trop tard, après la mort le médecin ne sert à rien ». Parmi tes besoins, tu verras quel est le plus indispensable. Tu me dis que les draps te manquent énormément parce que tu en a assez de dormir sans. Achète-les mais si tu peux t’arranger avec quatre n’en prends pas six. Le moins sera le mieux car, lorsque viendra le jour où nous pourrons nous établir comme des personnes dignes, nous nous meublerons et nous nous équiperons.
Le fait, que tous sont très satisfaits de nos enfants, c’est quelque chose d’important pour tous, car la façon qu’ils ont de se comporter est dû à notre éducation et à l’exemple que nous sommes pour eux. Par conséquent, je veux me conduire avec honnêteté, conduite qui, tant à toi qu’à à moi, nous a été conseillée et démontrée par nos parents. Cela fait que l’on récolte ce qu’on a semé.
Pour revenir à la permission, eh bien, nous pensons que Juan vous verra bientôt et après ce sera mon tour. Nous attendons avec l’impatience et la résignation que requiert cet événement, sans nous désespérer, confiants dans notre destin.
Voici des nouvelles d’Espagne. « El fin » a reçu une lettre de sa femme, lui disant qu’elle a été passer une visite à Barcelona. Elle envoie ses meilleurs souvenirs pour nous tous et aussi, malheureusement, elle dit que mon père est mort en février. En faisant les adieux à mes parents, je savais très bien que nous nous serrions dans les bras pour la dernière fois. Ils portaient déjà beaucoup d’années sur leurs épaules. Comme souvenir mortuaire, nous garderons l’image d’un homme travailleur, honnête et surtout noble qu’il fut. La femme « d’el Fin » dit qu’elle n’a pas pu l’accompagner à son repos éternel, car étant assez malade elle se trouvait alitée. Nous imaginons qu’elle était sa maladie. Elle envoie également à son mari les meilleurs souvenirs « d’el Royo, mon cousin el Marcelino. Selon moi, dans toutes les lettres qui sont arrivées nous avons tout confondu. Il s’en suit donc que ceux envoyaient des souvenirs sont les frères de « Royo ». La « Josefina », celle que je croyais être « la Chula », en fait est la petite sœur « d’el Royo ». Nous tirerons au clair cet embrouillamini quand nous aurons plus de temps.
Cher fils Anastasio. Ta lettre m’apprend que jeudi dernier vous avez eu « une récréation » que vous attendiez depuis longtemps, d’après ce que je lis. Toi Lauro et Alicia avez eu beaucoup de joie étant libres de pouvoir courir selon votre fantaisie. Tu m’écris que vous êtes allés avec votre mère à pied, très loin, à la ferme où travaille votre sœur Juana. Vous avez marché le plus vite que vous pouviez afin de lui donner un baiser et une embrassade. Je sais qu’elle vous attendait à bras ouverts. Ce jour sera pour vous un souvenir historique, puisque c’est le premier jour de fête dont vous avez profité joyeusement, libres comme des oiseaux, depuis votre sortie du « Refugio ». Tu termines ta lettre en me disant que lundi tu retourneras à l’école et que tu as un dessin déjà commencé. Alors nous verrons si, lorsque je viendrai en permission, tu l’auras terminé.
Chère fille Juana. Merci beaucoup pour tout ce que tu me dis à propos de ta mère et de tes frères et sœurs. Tu me réjouis en m’assurant que tu ne tarderas pas à retourner à l’école, comme nous tous le désirons ; mais, tant que tu seras avec tes patrons, tâches de t’acquitter de ton devoir le mieux possible. Ce n’est pas parce que tu vas t’en aller que tu dois faire mal les choses et être impatiente. Ceux de la baraque trouvèrent très drôle l’épouvante qu’eut le commis de la ferme quand vous lui avez offert une des bananes qu’apporta votre mère pour le dessert. Vous me racontez qu’en la voyant, il s’enfuit en courant de la table, épouvanté par un tel fruit. Chaque village à son idiot. Juana, il est évident que tu as besoin d’aller à l’école, car tu as une très mauvaise écriture.

Marcelino Sanz Mateo