Cinquante-troisième lettre de Marcelino, écrite de Gorze dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.
Gorze, 8 janvier 1940
Chers épouse et enfants je souhaite que vous soyez tous en bonne santé. Moi je le suis pour le moment. La présente lettre confirme notre arrivée au nouveau camp, et je vous donne notre adresse :
« Marcelino Sanz Mateo : 11ème compagnie de travailleurs espagnols Gorze (Moselle) »
Notre voyage s’est bien déroulé. Nous sommes passés par Lyon et Dijon, qui d’après ce que nous avons vu, sont deux villes importantes.
Cette région est plus chaude que celle des Alpes. Il y a peu de neige. Notre travail consiste à construire un campement de mille baraques. Nous tous pensons que notre séjour ici ne durera pas, puisque nous sommes un rassemblement de plusieurs compagnies de travailleurs espagnols. Ledit voyage a duré un jour et demi, avec deux nuits dans le train. Il a été long, mais nous l’avons bien vécu. En arrivant, la première nuit Juan et moi nous avons dormi ensemble. Après il est parti avec les autres chauffeurs à Gorze un village situé à 2 kilomètres du campement. Tous les jours il vient nous ravitailler, ce qui nous donne l’occasion de nous voir. Ce département s’appelle Moselle. Nous nous trouvons à 200 kilomètres du front.
Lorsque tu m’écriras, n’oublie pas de me dire si tu as reçu les deux colis et s’ils sont arrivés avec tout ce qu’ils contenaient au départ. Nous, nous ne pouvons pas vous envoyer de l’argent, car nous gagnons très peu, mais nous tâcherons de vous envoyer tout ce que nous pourrons, tout comme aujourd’hui, nous l’avons fait pour vous aider à vivre. En attendant que notre situation s’arrange, ce qui nous manque la plus est de connaître des gens de confiance parce que ce que ne peut l’un, l’autre le peut. J’ai toujours entendu dire qu’on doit avoir des amis, même en enfer. En changeant si souvent, nous ne pouvons prendre racine nulle part. A l’instar des pèlerins : nous avons beaucoup d’auberges et peu d’amitiés.
Je suis plus que satisfait de ce que tu me dis de Sebastian. Je vois qu’il a la volonté et l’intelligence de comprendre en bon fils qu’il est, et qu’il doit se dévouer pour vous.
Donne de ma part des remerciements à Madame « Teresa » pour toute l’aide qu’elle vous apporte, et dis-lui que le jour où nous le pourrons nous la récompenserons au triple.
Marcelino Sanz Mateo