Quinzième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine, 8 juin 1939
Avant toute chose, je souhaite que, lorsque tu recevras cette lettre, tu seras rétablie de ta maladie, puisque la seule chose qui me préoccupe est votre santé, la tienne en particulier. J’ai écrit hier et si j’écrit encore aujourd’hui, c’est pour avoir reçu vos lettres en date des 5 et 17 mai. Comme tu le vois, elles sont arrivées très tard.
En ce qui concerne ce que tu me dis au sujet de la pension en francs, tu me diras qui paie. Je suis désolé que tu n’aies pas de savon à laver ou d’espadrilles pour les enfants. Je suis désolé quand je sais à quel point tu aimes laver et avoir tout en ordre. Pour que ces choses soient arrangées, la patience est nécessaire, rendant la nécessité, vertu. Prends ces désagréments avec sérénité afin que, le jour où nous les quitterons, pour profiter du temps qui nous reste à vivre en tant que gens de ville. Dans les champs, on transpire beaucoup.
Revenons au sujet du Mexique. Je ne pense pas que ce sont juste des rumeurs. La vérité a un autre son.
Ill est bien dit : « du dit au fait il y a beaucoup de chemin ».
A propos des Catalans, que nous soucie ce qu’ils chantent ? Nous nous soucions d’abord du nôtre. Pour ce qui est d’aller au front, qu’y aille celui qui veut se suicider. Pour nous le problème qui se pose est de savoir combien nous serons séparés en France. Tu ne dois plus dire qu’il n’y a pas de remède. Maintenant, est ce que nous sommes. Je pense aussi beaucoup à mes parents. Si ceux de Valencia ne répondent pas à ta lettre, comme ils n’ont pas encore répondu aux nôtres que nous avons envoyés à la « Escolastica », nous écrirons encore. Toi, tu attends, tu me dis que les garçons m’écriront la prochaine fois. Je serais reconnaissant pour leurs lettres.
Cher fils Sebastian. Même si c’est avec beaucoup de retard (pour l’avoir reçue aujourd’hui seulement), je réponds à ta lettre du 5 mai. Je suis très reconnaissant de savoir que tu es très courageux dans ta tâche, que tu donnes des leçons à tes frères et que du as soin d’apprendre le français, savoir que tu as la volonté d’étudier est pour moi la plus grande des joies. Apprenez tant que vous le pouvez, le savoir ne pèse pas. Quand je serai avec vous, je vous donnerai des leçons qui vous serviront. Je suis très content de toi, mais je vais te faire une remarque : la lettre que tu m’écris contient pas mal de fautes. Ne cours pas et tout ira bien pour toi.
Tu me dis que tu veux travailler ici, avec nous tous. Ne sois pas si pressé que le jour viendra où nous travaillerons ensemble et je vous donnerai tout ce que je peux pour votre bien. C’est clair comme la lumière du jour.
Pour terminer, je vous conseille de ne pas apprendre à jouer aux cartes. Avec elles on apprend à voler et à tuer. Ses figures le disent très clairement.
Bâtons : frapper
Coupes : boire
Epées : tuer
Or : voler
Marcelino Sanz Matéo