Lettre de Marcelino – Retour à Gorze et Novéant-sur-Moselle dans les Vosges, ainsi qu’à Belfort (Février/Mars 2020)

Marcelino et la 11ème CTE quittent le village de La Condamine-Chatelard dans le département des Basses-Alpes le 4 janvier 1940. Après deux jours de voyage en train, en passant par Lyon et Dijon, (lettre de Marcelino du 8 janvier 1940), ils arrivent dans le département de la Moselle, débarquent en gare de Novéant, et sont dirigés vers le village de Gorze, toujours en Moselle.

Gare de Novéant sur Moselle

Novéant (Neuburg) est situé à 20km au sud-ouest de la ville de Metz. Le village est sur la rive ouest de la Moselle. Gorze se trouve à 6 km de Novéant dans un petit vallon (où coule la rivière Gorzia) qui monte sur le plateau lorrain. Entre 1870 et 1918, ces deux villages étaient à la frontière entre l’Alsace-Moselle allemande et la France. On trouvait à Novéant postes de Douane et de Police. De nombreux passeurs ont œuvré le long de cette frontière.

Carte de Novéant et Gorze. Le camp Morin est situé au C rouge (Géoportail)

Arrivée à Gorze, la 11ème CTE, est dirigée au-dessus du village, sur le plateau lorrain. Elle est installée avec d’autres CTE au sud de la ferme Labauville, à la limite de la forêt communale de Gorze, pour y construire, sous la direction de la 1ère section du 441ème régiment de marche métropolitain, un campement de mille baraquements qui va prendre le nom de « camp Morin ».

Extrait du carnet de marche du 441ème régiment de marche métropolitain (source JF Genet)

 (IV.. Historique journalier de décembre 1939 à juin 1940 : de décembre à fin mai le 1er bataillon du 441éme RPM est employé par l’EM (état-major) de la IIIème Armée, à la construction et l’aménagement des camps de Gorze et de Villecey-sur-Mad (situé en Meurthe-et-Moselle à 8,5 km au sud-ouest de Gorze), et en juin à la garde des dépôts de munitions de la région…)

Forêt
Lieu-dit
Ancien emplacement du camp Morin (source JF Genet 2020)
Fondations restantes de baraquements du camp Morin , (source JF Genet Mars 2020)
Fondations restantes de baraquements du camp Morin 2 (source JF Genet Mars 2020)
Le camp Morin aujourd’hui 1 (Photo P Claude Mars 2020)
Le camp Morin aujourd’hui 2 (Photo P Claude Mars 2020)

Marcelino et ses compagnons d’infortune vont rester au camp Morin , du début janvier, au début mai 1940. Il va y écrire 16 lettres entre le 8 janvier et le 12 avril 1940.

Aujourd’hui il ne reste que quelques fondations des bâtiments construits par les CTE sur ce secteur. (Merci à Jean-François Genet et Michel Schuller pour la localisation de ces vestiges). Après la guerre, quelques baraques sont restées pour servir à l’hébergement des harkis travaillant dans la forêt de Gorze.

Entre le 10 avril et le 10 mai 1940, Juan, le gendre de Marcelino, ira en permission à Mézin dans le Tarn-Garonne pour voir Benigna et ses enfants , ainsi que Maria, sa fiancée. A son retour en Moselle, c’est Marcelino qui va effectuer à son tour une très brève permission, lui aussi à Mézin. Ensuite, Marcelino retournera à Gorze.

 Aussitôt après, sa compagnie est déplacée en direction de Novéant pour faire des travaux d’élargissement de route et de construction de ponts, sous la direction d’ingénieurs français. Les  Espagnols vont aussi aider les femmes à la cueillette des fraises*.

Lors de l’arrivée des Espagnols à Novéant, le curé du village, l’abbé Henrion soupçonné de collaboration a conseillé aux habitants de se méfier de ces rouges Espagnols et de ne pas leur faire confiance. A l’installation des Allemands, il sera remplacé par l’abbé Nassoy, qui va monter rapidement un réseau de passeurs pour aider juifs, catholiques et autres exilés. N’oublions pas qu’à la fin juin 1940, l’Alsace/Moselle redevient allemande, et Novéant, ville frontière du Reich. (Source JF Genet).

Cueilleurs de fraises à Novéant, fin mai ou début juin 1940 (source JF Genet)

* : en mai et juin 1940, tous les hommes de Gorze et Novéant sont mobilisés. La région de Novéant est alors un lieu de forte production de fraises. Un article du journal  » le Républicain Lorrain » de 1937, indique que la production est de plus de 1700 tonnes dont 500 tonnes rien que pour Novéant.

(source JF Genet – Le Républicain Lorrain)

De Novéant, Marcelino va écrire 4 lettres entre le 16 mai et le 1er juin 1940.

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En attente d’informations pour trouver l’emplacement de la 11ème CTE

15 mai 1940 : l’Allemagne envahit la France. Malgré une résistance héroïque, l’Armée Française recule de toutes parts. Le 14 juin, Metz est déclarée ville ouverte, le 17 juin les troupes allemandes entrent dans Metz.

Le 15 juin : l’Armée Française détruit les ponts sur la Moselle, en particulier celui de Novéant à Corny et celui de Pont-à -Mousson, piégeant sur la rive est de la Moselle une partie importante de ses troupes, qui n’ont plus comme solution que de remonter la Moselle en direction de Belfort afin de trouver un passage encore intact pour se replier vers le sud et l’ouest du pays.

Les 18 et 19 juin : les Allemands bombardent Epinal, Dournoux, Xertigny Jeuxey et la Chapelle-aux-Bois où l’on trouve trace d’Espagnols pris dans la tourmente, (témoignage de Francisco Carrillo Luque de la 2ème CTE).

Voici le témoignage de Juan, le gendre de Marcelino (date non précisée) : « Nous étions du côté d’Epinal en train de déblayer les routes des épaves de voitures et de charrettes abandonnées par les gens qui fuyaient l’avancement de l’armée allemande. Le dernier jour le capitaine de la compagnie nous mis sur deux colonnes pour aller travailler d’un endroit à l’autre. Au dernier moment, sans me faire remarquer, je changeais de colonne (Juan) sans savoir que Marcelino était devant moi, mais je n’ai pas eu le temps de le voir, de le prévenir ou de le prendre avec moi. C’est la dernière fois que je vis Marcelino ». (Source Alban Sanz).

Quand les bombardements commencèrent à tomber sur Epinal (certainement le 18 juin 1940), Juan monte dans un camion avec le capitaine Vidal et un autre soldat français. Il cherche désespérément Marcelino, ne tenant pas compte des ordres du capitaine, jusqu’au moment où ce dernier sort son pistolet, le lui met sur la tempe et lui ordonne de prendre la route en direction du sud. Juan s’exécuta. Ils rejoignirent la ville de Bédarieux dans l’Hérault, où la 11ème compagnie fut dissoute le 14 juillet 1940. (Source Alban Sanz).

Marcelino et quelques compagnons d’infortune prirent un train en direction de Belfort ou de la Suisse. Ce train a été stoppé par les Allemands. Ils furent faits prisonniers.

Voie ferrée La Chapelle-aux-Bois
Lieux bombardés en Juin 1940 (en rouge la voie ferrée)

Entre le mardi 18 juin 1940, et le dimanche 27 juin 1940 : les Allemands ouvrent un camp provisoire sur la commune de Bains-les-Bains, toujours dans le Vosges, pour y rassembler toutes les troupes prises dans la nasse autour d’Epinal (23ème GRCA, 55ème BMM, 11ème RACL, coloniaux, Espagnols, 26ème RAD,  1600 capturés dans les casernes d’Epinal,  80 capturés à Cruey les Surance, 46ème GRDI, artilleurs des batteries des forts d’Epinal, prisonniers capturés à Archettes et Xerménil). Ce sont environ 50 000 personnes qui vont se retrouver pendant dix journées sans eau, sans nourriture, sans hygiène et sous une pluie battante, surveillées par les Allemands.

Le samedi 26 juin : commence le tri des internés. À partir de 14h45, les prisonniers sont dirigés vers les frontstalag 211 de Sarrebourg, frontstalag 210 de Strasbourg, frontstalag141 de Vesoul, frontstalag 120 de Mirecourt, frontstalag 121 à Epinal ou le frontstalag 140 de Belfort où l’on retrouve trace de Marcelino. Au soir du 27 juin, le camp est totalement vide.

Camp provisoire de Bains-les-Bains – 50.000 prisonniers (source AD Vosges)
Prisonniers rassemblés dans les Vosges en Juin 1940 (source JF Genet)
Prisonniers dans les Vosges en Juin 1940 (source JF Genet)

La suite est à consulter dans Lettres de Marcelino, « « Epilogue « 

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Notes :

 Aux Archives de la Moselle à Metz : rien sur la 11ème CTE, mais des documents sur les autres CTE et GTE du département et sur les réfugiés Espagnols (cotes 5 R 584 (fiches CTE) et 585 (apatrides), 4 MI 147/13 (le Républicain Lorrain), 4 MI 106/80 (le petit Messin), 4 MI 126/69 (le Lorrain).

Aux Archives Départementales des Vosges à Epinal : rien sur la 11ème CTE, mais un dossier complet sur les réfugiés Espagnols de 1939, avec les noms et les lieux d’accueils (côte 4 M 720 à 4 M 735).

Aux Archives départementales de Belfort : rien de rien.

Archives Nationales à Pierrefitte sur Seine :  On y trouve les côtes des frontstalag suivants : 120 Mirecourt 619/MI/7, 121 Epinal 619/MI /8 et 9, 140 Belfort 619/MI/23 et 24, 141 Vesoul 619/MI/45 et 46, 210 Strasbourg 619/MI/67, 211 Sarrebourg 618/MI/69.

Remerciements à :

Jean-François Genet, historien à Novéant pour son aide. Il travaille sur l’histoire des passeurs entre Moselle et France.

Les Mairies de Novéant (57), Gorze (57), Bains-les-Bains (88).

Les Archives Départementales de la Moselle, des Vosges et du Territoire de Belfort.

Solange et Rémy pour leur aide logistique.

Alban Sanz, le petit fils de Marcelino.

Liens :

Le camp de la misère de Bains les Bains / aufildesmotsdelhistoire.unblog /