Cinquante-deuxième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses-Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine Chatelard, 27 décembre 1939
Je réponds à la votre du 22, mais, avant tout, avec cette lettre je t’annonce que, sûrement, on va nous transférer à un autre camp, ainsi, soudainement. Où que ce soit, attends que nous sachions qu’elle sera notre adresse pour m’écrire. Aussitôt que nous arriverons à destination je t’enverrai cette adresse. Si tu as l’occasion, communique cela à Sebastian afin que lui non plus ne m’écrive pas. Je crois que vous êtes déjà au courant de notre transfert parce que Juan m’a dit qu’il l’a fait savoir à tous dans sa dernière lettre.
Je ne comprends pas pourquoi tu continues à te désespérer en comptant ceux qui sortent du « Refugio ». Attends ton tour, lequel ne tardera pas à arriver. Ce qui compte est de se soutenir moralement, en prenant soin de notre santé afin que le jour où nous nous réunirons nous puissions jouir du temps qu’il reste à vivre, en disant à nos souffrances actuelles, « tournons la page ». C’est pourquoi je te prie d’affronter avec sérénité tout ce qui peut nous arriver.
Ce que tu me dis de Juan, c’est-à-dire que, sachant le français, il parle avec le capitaine, cela est impossible avant qu’on nous change de camp. On dit que c’est pour améliorer notre situation et nous tous pensons qu’il en sera ainsi. Tu t’obstines à vouloir savoir ce qui se passe en Espagne. Saches que les nouvelles que nous apportent toutes les lettres sont très mauvaises. Ils ont très faim, beaucoup de prisons et de nombreux cimetières. De sorte que… patience. Attendons de meilleurs jours ou, pour le moins, plus appropriés pour correspondre avec notre famille. Dans le présent, de l’autre côté des Pyrénées tout comme ici, ce qu’on désire le plus est d’avoir de la chance parce que, en ce qui nous concerne, pour s’en sortir, « mieux vaut avoir de la chance que de se lever de bon matin ».
Marcelino Sanz Mateo