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La déroute, Belfort et l’Allemagne

La déroute de l’Armée Française devant la grande offensive allemande de la mi-juin 1940 dissémine les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) se trouvant dans le département de la Moselle, qui est frontalier avec l’Allemagne.

La 11ème compagnie de Marcelino et Juan est dirigée vers Épinal dans le département des Vosges, où elle subit de lourds bombardements .

Alors que Juan, au volant de son camion, cherchait désespérément Marcelino, le capitaine de la 11ème compagnie, le menaçant de son pistolet, lui donne l’ordre de filer vers le sud pour se mettre en lieu sûr. Juan s’exécuta et, avec quelques membres de la compagnie « Français et Espagnols », il fit route jusqu’à Bédarieux dans le département de l’Hérault. C’est là que les rescapés de la 11ème compagnie demeurèrent jusqu’à sa dissolution le 14 juillet 1940.

Enfin Juan put s’unir avec Maria. Peu de temps après, ils eurent leur première fille Paquita.

** voir le détail de celle période dans « Lettres de Marcelino – Retour à Gorze, Novéant et Belfort ».

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On ne sait pas ce que devint Marcelino. Au bout de quelques mois sans avoir de nouvelles, Benigna reçut enfin une lettre de son mari provenant de Belfort et estampillée avec le sceau de la Wehrmacht (armée régulière allemande). Cette lettre disait :

« Chère épouse et chers fils, n’ayez pas de la peine, je me trouve sain et sauf et bien soigné. Baisers. Marcelino ».

Ce que l’on sait : Marcelino est retenu au Frontstalag 140 de Belfort. Il va y rester jusqu’au 16 janvier 1941.

Lettre expédiée du Frontstalag 140 de Belfort

Marcelino fait partie de ces Espagnols qui sont employés à l’entretien des fortifications de Belfort.

Le Frontstalag 140

Le 16 janvier 1941, les Espagnols du Frontstalag 140 de Belfort sont chargés dans des wagons à bestiaux. Ils sont accompagnés du Docteur Foliguet et de quelques infirmiers français, qui eux, voyagent dans de wagons de 3ème classe.

Le médecin-chef allemand indique au Docteur Jean-Marie Foliguet que la destination de convoi est l’Autriche. Vers 11h00, le train démarre. Voyant les noms des gares de Colmar, Strasbourg, Karlsruhe, Frankfurt défiler, il voit bien que l’on ne se dirige pas vers l’Autriche, mais en direction de l’Allemagne.

Le voyage va durer jusqu’au 18 janvier 1941, où dans la nuit ils arrivent au Stalag XI B de Fallingbostel en Saxe.

Extraits du livre du Docteur Jean-Marie Foliguet « Mauthausen 1941 »
Docteur Jean-Marie Foliguet à Fallingbostel
Témoignage de Gabriel Vallet

Le train n’arrive pas le 15, mais le 18 janvier 1941.

Ils restent au stalag XI B de Fallingbostel du 18 janvier 1941 au 25 janvier 1941.

Tous les Espagnols reçoivent le triangle bleu encadré de rouge avec le R de Roth Spanien, (Espagnols rouges).

Ils repartent le 25 janvier 1941 en train et arrivent le 27 janvier 1941 au camp de Mauthausen.

Le camp de Mauthausen

Depuis ce camp, le contenu des lettres de Marcelino se résumera à deux ou trois courtes phrases :

« Je suis bien, je ne manque de rien. Baisers pour tous… je suis bien je ne manque……… »

S’écoulant bien des mois, et sans avoir de ses nouvelles, son épouse fit tout son possible pour savoir ce qui se passait.

Le 21 octobre 1941, une lettre de la Croix Rouge internationale lui annonça :

« Le prisonnier numéro 12910, Sanz Matéo Marcelino, est décédé le 19 juillet 1941. Ses cendres reposent dans le cimetière de Steyr (Oberdonau) ».

Ce document de la Croix Rouge remis à Benigna annonçe la mort de Marcelino le 19 juillet 1941, alors que sa fiche individuelle (ci-dessus n° 8) annonce la mort de Marcelino le 29 juillet 1941 à 14 heures.

 L’association des déportés de Mauthausen de Paris diffuse ces informations :

Association des déportés de Mauthausen

Là-bas mourut aussi son ami, Francisco Gracia « el Fin ». Quelques survivants du camp racontèrent à sa fille Rosario Gracia, que peu de jours après avoir vu les SS emporter son ami Marcelino vers la mort, et se rendant compte qu’on venait le chercher, son père se lança sur le grillage électrifié en criant :

« A-moi, vous ne ferez pas ce que vous avez fait à mon ami Marcelino ! ».

Durant le mois de juillet 1942, Benigna alla habiter avec ses quatre enfants mineurs dans le village où Sébastian et Valero travaillaient dans une propriété agricole, au hameau du Laca, à côté de Lannepax dans le département du Gers.

Peu de temps après, Juan fût engagé dans une propriété voisine de celle qui employait ses deux beaux-frères. Ils y restèrent jusqu’à la fin de la guerre. (Voir « Retour à Mézine et au hameau du Laca à Lannepax ».

C’est à Lannepax dans le département du Gers, que les familles Sanz et Uceda vécurent jusqu’à la fin de la guerre. Les circonstances les obligèrent à être ce que ne voulait pas Marcelino : des paysans. Ensuite Benigna, Valero, Juana, Anastasio Alicia se déplacèrent sur Toulouse.

Sebastian rencontra la belle catalane Angèle (Angélina, toujours vivante à ce jour) , originaire d’Elne dans les Pyrénées-Orientales. Ils se marièrent et dès la fin de la guerre émigrèrent dans le Roussillon, à Elne (à côté du camp d’Argelès). Ils s’installèrent comme maraîchers. Ils ont eu deux filles, Solange et Marie-Rose, qui à son tour à eu deux enfants, Jérôme et Karine (qui a fait une thèse de doctorat d’histoire sur…la Retirada). Ce furent des années de dur labeur, Sebastian était un des rares agriculteurs du secteur à employer des gitans Espagnols pendant la période des récoltes. A la fin des récoltes, c’est autour d’une belle cargolade, qu’adultes, enfants et petits-enfants se retrouvaient, la journée finissant par une bataille de tomates bien mûres que Sébastian avait gardées dans un bac.

Un jour, Sebastian, fit le voyage au camp de Mauthausen. Il en revint profondément marqué.

En 1955, Benigna accompagnée de sa fille Alicia, retourna dans sa maison d’Alcorisa (26 ans après l’avoir abandonnée). Depuis lors, et jusqu’à son décès à Madrid en octobre 1988, elle vécut des fois en France et des fois en Espagne.

Juan et Maria émigrèrent vers le Chili dans les années 1970.

Valero alla vivre du côté de Séville.

Juana, Lauro-Daniel, Sebastian et Anastasio resteront en France. Seul Sebastian deviendra agriculteur comme son père Marcelino.

Au bout de plus de deux ans de tracas administratifs, Benigna obtint la pension que le gouvernement Allemand devait payer à toutes les victimes du nazisme. Elle touchait également la pension de veuve de guerre octroyée par le Gouvernement Français. Ces sommes en firent une femme « riche », quand elle retourna dans son village d’Alcorisa. Elle dira souvent à ses enfants :

 » Misme muerto, vuestro padre sigue ayudandonos…. »

« Même mort, votre père continuer à nous aider…. »

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Marcelino est mort en 1941

Benigna est morte en 1988

Juan est mort dans les années 1990

Maria est morte dans les années 2000

Sebastian est mort dans les années 1980

Valero est mort dans les années 2000

Lauro-Daniel est mort en 2019

Juana est toujours en vie

Alicia est toujours en vie

Anastasio est toujours en vie

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Remerciements :

Un grand merci Anastasio et à Alban Sanz, son fils , qui ont mis à notre disposition leurs archives familiales, et ont ainsi permis de mieux comprendre cette page ne notre histoire et de l’histoire des Espagnols contraints à « l’exilio ».

Merci aussi à Rémy Valentin pour les recherches en allemand.

Association au pied du mur (2019 /2020)

au.pied.du.mur04@nullgmail.com

En septembre 2019, lors de ma visite à Mézin dans le Lot-et-Garonne et au hameau du Laca à Lannepax dans le Gers, toujours à la recherche des lieux et témoignages sur le passage en 1939 de Benigna et de ses enfants, j’avais adressé à Madame Danielle Ducoussau, Secrétaire de Mairie à Mézin, un compte-rendu du résultat de mes investigations.

Quelques semaines plus tard, Michelle Casal, la petite-fille de Madame Engracia, se rend à la Mairie de Mézin, elle aussi à la recherche de souvenirs. Après quelques échanges de courriers, voici ce que j’ai appris :

En 1919, Jaume Casal, son épouse Engracia Fuste-Sarahis et leur fils Raymond quittent le village de Sentarada dans la province de Lérida (Lleida) en Catalogne, pour venir s’installer rue d’Armagnac à Mézin.

Sentarada

Jaume est né le 24 juillet 1887 à Viu Llevante, un village de la comarque de l’Alta Ribargorça, à quelques kilomètres de Sentarada, toujours dans la province de Lérida. Il est le fils d’Antonio et de Ramone Rugall. Il est ouvrier auxiliaire des routes. Il décède le 23 août 1941, suite à un accident de travail.

Viu Llevante

Engracia Fuste-Sarahis est née le 20 décembre 1894, à Viu Llevante. Elle est décédée en 1960.

Ils auront deux enfants, dont Raymond qui achètera des années plus tard un commerce au 10 rue Gambetta, qui deviendra « la pâtisserie Casal », une référence à Mézin. Maria, la fille de Marcelino, y a travaillé.

Patisserie Casal 10, rue Gambetta à Mézin

Madame Engracia,  dite « Graciette » va aider le plus possible Benigna et sa famille, durant les années difficiles passées « au Réfugio » à Mézin.

Jaume Casal
Engracia Fuste-Saharis
La famille Sanz à Mézin en 1940
Remerciements à :

Michelle Casal, la petite fille de Jaume Casal et Engracia Fuste-Sarahis,

Anastasio Sanz, fils de Marcelino

Alban Sanz, petit-fils de Marcelino

Danielle Ducoussau (Mairie de Mézin).

« Au pied du mur octobre 2019 ».

Le diable m’a dit (1967)

Oui ! le diable est venu cette nuit dans ma chambre,

 Les yeux couleur de sang et le visage d’ambre,

Son ample cape noire à l’envers

Et empestant le souffre

Je lui dis : « dis-moi, Diable, est-il vrai qu’en enfer

C’est l’âme des mortels et pas du tout la chair

Comme on le dit ici, sans le savoir, qui souffre

D’indicibles tourments ? »

Alors que j’insistais le fixant, stoïque,

Le Diable, en reculant, d’un grand geste emphatique

M’imposa le silence et me dit « Ignorants !

L’enfer est sur la terre

Et non pas en dessous ! il faut être bien sot

Pour croire que le bon ne peut être qu’en haut

Et le mauvais en bas ! pourquoi pas le contraire,

Stupide troupeau ? »

Tasio Sanz

Le cri (1986)

Quand l’homme crie… Il est des cris

Qui sont ce qu’est la délivrance

D’un bonheur contenu, immense !

Qui sont une explosion de vie !

L’éclat du gong dans le silence !

Il est des cris qui sont, aussi,

Le hurlement de la souffrance

Qui vous transperce avec violence

Lorsque surgissent de l’oubli

Les horreurs de notre existence…

Le cri de l’homme est inouï !

Est-il – qui sait ?- la survivance

De ce que furent sa jouissance

Et sa douleur lorsque l’esprit,

Soudain, enflamma la substance ?

Tasio Sanz

Les sondages archéologiques dans l’église Saint Jacques du vieux Montlaux sont aujourd’hui terminés.

Le but de ces sondages étaient de savoir ou se situait le niveau de sol de l’église et de trouver éventuellement des éléments de constructions:  » éléments de toitures ou de charpentes etc etc.

Dès les premiers jours des éléments de sol sont apparus.

Premier élément de sol avec trace de chaux

Les jours suivants c’est une belle découverte qui s’offre aux archéologues, qui trouvent des éléments de squelette à l’intérieur de l’église. Tout cela est relevé, inventorié, photographié et évacuer du site.

Première découverte d’ossements.
Un tibia encore pris dans la terre.
Par négatif de moulage apparaissent aussi des traces de tissus

D’autres ossements ont été trouvés lors de ces sondages, ils on été enlevés par les archéologues, afin d’effectuer des prélèvements pour datation.

Ces travaux ont aussi permis de découvrir quelques anciennes fondations, avec des emplacements d’anciennes entrées et autres murs de soutènements.

En rouge les deux montants de porte, en bleu le remplissage, en noir une ancienne boche pour relier les pierres entres elles.

Des visites commentées du site sont organisées régulièrement. elles permettent de mieux comprendre l’histoire du village de Montlaux et de son église Saint Jacques.

Soixante-douzième et dernière lettre de Marcelino, écrite de Novéant sur Moselle, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.

Novéant sur Moselle, 1er juin 1940*

Benigna, dans ta dernière lettre datée du 25 mai, tu me demandes si je sais quelque chose concernant ce qu’on raconte, à savoir que, dans certaines compagnies sont partis ceux ayant plus de 45 ans. A ce sujet, ici nous ne savons absolument rien. Chacun questionne séparément ses supérieurs, lesquels répondent systématiquement la même chose « nous attendons les ordres ».
Lorsqu’il leur arrive de nous promettre quelque chose, nous ne les croyons plus. Ce sont d’insolents mensonges. Moi je ne les écoute plus car je sais que « la calomnie tue plus sûrement qu’une blessure ».
Eh bien oui, vous avez intérêt à faire des démarches pour obtenir la carte d’identité. D’après ce que vous dit Juan dans sa dernière lettre, on va nous transférer près de la frontière d’Italie, vu que le front est en train de reculer. De cela, non plus, nous ne savons rien de sûr.
Benigna, je suis content de savoir que tu te trouves en bonne santé, sans troubles menstruels. Tâches de te conserver ainsi afin que le jour où je viendrai et je te trouve dans de bonnes conditions pour entreprendre ce dont j’ai tellement envie. Notre situation continue à être la même. Tu ne dois pas avoir de chagrin puisque nous sommes très tranquilles. Aies confiance car lorsque ce sera inévitable, on nous acheminera vers le sud. D’ici je t’envoie trois photos afin que tu voies ton mari et ses infortunés compagnons de section. Chacun de nous a commandé au moins deux photos. Ce que nous faisons est une route que nous finirons bientôt. Où irons-nous après ? Nous n’en savons rien. Il parait que le gouvernement français ignore notre existence. Ils nous volent du temps et de l’argent.
Tu te souviens de ce dicton :


Cuanto teniamos tiempo no tieniados dinero
y cuando tenemos dinero ya no tenemos tiempo

Quand nous avions du temps nous n’avions pas d’argent
Et lorsque nous avons de l’argent nous n’avons plus de temps.

Nous, nous n’avons jamais rien possédé ni l’un ni l’autre pour en profiter avec nos enfants. Nous l’obtiendrons, car nous ne voulons pas atteindre ce qu’il y a de meilleur. Nous, nous contentons de ce qui est bon, et cela parce que nous ne sommes pas envieux, et non parce qu’on dit que le meilleur est l’ennemi de ce qui est bon. Vous verrez très bientôt on cessera de nous déplacer comme si nous étions un troupeau de moutons. Oui ! peu sont les jours qui nous séparent les uns des autres.
Rien de plus. Beaucoup de souvenirs pour Mesdames « Engracia et Teresa », pour les personnes qui vous demandent de mes nouvelles et pour tous les espagnols qui vous entourent.
Vous épouses et enfants, recevez une forte étreinte de celui qui ne vous oublies pas, votre époux et père.

Marcelino Sanz Mateo

*/ Au premier juin 1940, l’armée française est en pleine déroute, malgré le combat héroïque de certains régiments.

Soixante et onzième lettre de Marcelino, écrite de Novéant sur Moselle, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.

Novéant sur Moselle, 27 mai 1940

Grâce à votre lettre du 23 je suis tranquillisé, sachant que vous avez la santé, et du courage choses qui ont beaucoup de valeur durant les jours que nous vivons.
Benigna, tu me demandes quel est mon travail. Eh bien, nous sommes en train de faire une route que nous terminerons très vite.
Ce qui m’a également fait plaisir est de savoir que Sebastian et Valero sont venus vous voir et que tu les as trouvés bien, quoique tu me caches quelque chose puisque tu ne dis rien de la jambe blessée. L’a-t-il guérie ? Tu ne me dis rien non plus de la carte de travail. Je suppose qu’on vous l’a déjà donnée. Si vous attendez encore, c’est que vous savez mieux que moi comment l’administration d’où vous êtes, vous régit. Moi je n’ai plus confiance parce que « chat échaudé craint l’eau froide ». Ils nous ont fait remplir tant de questionnaires et signer tant de pétitions en nous promettant monts et merveilles, qu’on a du mal à croire qu’ils soient aussi menteurs. Quels qu’ils soient ceux qui ont le commandement acculent le peuple dans l’oubli. Il ne nous est pas difficile d’affirmer que « le loup mourra dans sa peau ».
Tu sauras que « Gracia, el Fin » a reçu une lettre de « Carmen », dans laquelle elle a envoyé le billet joint à cette lettre. Je te le fais parvenir afin que tu remarques qu’il a la même écriture que celle de la lettre que j’ai reçue. Voilà pourquoi je n’arrivais pas à comprendre ce qu’ils disaient. Si tu veux écrire directement à « Manuela », tu luis dis que depuis que nous sommes restés ensemble dans le camp d’Argelès-sur-Mer nous ne l’avons pas vu, et que nous ignorons l’endroit où il se trouve. Tu ajoutes que si, par hasard, nous apprenons quelque chose tout aussitôt nous ferons le possible pour l’en informer. Nombreux sont ceux qui, comme elle, recherchent leur famille. Tu me dis également que tu désires avoir des nouvelles de ta famille afin de pouvoir tout particulièrement correspondre avec ta mère. Tu peux le faire en ne lui disant rien d’autre que cela ; lui transmettre les meilleurs souvenirs et les termes usuels sans ajouter une autre phrase.
Pardonne-moi de te répéter avec insistance que si tu lui écris tu ne lui dises pas ce que je t’ai dit, afin d’éviter que tu l’embrouilles et, sans le vouloir, tu lui compliques la vie, car je t’assure qu’en Espagne ils souffrent plus que nous. Tu peux envoyer ta lettre à l’adresse suivante : Manuela Hernandez, carretera baja ou del piojo
(route basse ou du pou)
.
Cher fils Anastasio. Je suis heureux que tu sois content de voir ta sœur Juana à vos côtés. Cela me prouve l’amour que vous avez les uns pour les autres et l’honneur que vous faites à vos parents, de vous voir si bons et bien éduqués malgré la mauvaise passe que nous vivons. Je suis également très satisfait en voyant que tu es passionné d’apprendre le français. Je te prie instamment que lorsque tu auras des doutes et des problèmes à l’école, en arrivant à la maison tu les avoues à tes frères et sœurs. En faisant ainsi, tu verras qu’ on apprend plus vite et plus facilement. N’arrêtez pas de converser à propos des questions qui vous préoccupent.
Je dois vous donner un conseil : on sait très bien que les enfants aiment se faire des paris. Alors toi, fais attention, parce qu’on dit depuis toujours, et moi je le confirme, celui qui parie « perd le pain et la panière ». Tu me demandes de t’envoyer des timbres-poste parce que Valero en fait une collection avec ton aide. Hormis les espagnols que vous avez déjà, ceux que l’on voit par ici ont tous la même image et le même cachet de la poste que ceux que vous voyez sur les enveloppes de nos lettres. Si par hasard j’en vois des différents, je vous les enverrai.
Chère fille Juana. Tu m’obliges à te dire que ce que je viens de dire à ton frère, puisque toi aussi tu es très contente d’être revenue auprès de ta mère et de tes frères et que, tout comme lui, tu manifestes la joie que tu as de pouvoir aller tous les jours à l’école. Etudies avec ardeur, car l’instruction fera de toi une femme appréciée et respectée. Je tiens également à te faire cet avertissement : bien que tu sois partie de la ferme où tu travaillais très à contrecœur, n’ai jamais la stupidité de te moquer de la campagne et des paysans en général et de tes anciens patrons en particulier, parce que nous ne savons pas encore où nous irons atterrir. Rester en bon terme avec les gens ne coute rien, et cela peut être utile pour plus tard. Donc n’oublies pas : « le silence est d’or ».
Maintenant je tiens à saluer les personnes qui vous demandent de mes nouvelles, les Dames « Engracia et Teresa ». À Madame « Engracia » tu lui dis que je partage la peine qu’elle a en voyant son fils partir pour rejoindre sa caserne ; qu’elle supporte cette séparation avec patience, en pensant qu’un jour prendront fin nos malheurs.
Lauro et Alicia, ne pensez pas que je vous oublie, ne serait-ce qu’un instant, car, étant vous deux les plus petits, vous êtes ceux à qui je pense le plus.

Marcelino Sanz Mateo

Soixante-dixième lettre de Marcelino, écrite de Novéant sur Moselle, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.

Novéant sur Moselle, 21 mai 1940

J’ai reçu votre lettre du 17. Je suis content de savoir que vous êtes en bonne santé, ce qui est le principal. Tout le reste passe et continuera à passer. Sur notre situation nous ne pouvons rien dire puisque, ici, nous n’avons rien vu de particulier, et nous ne savons ni ce qui se passe ni ce qui se trame. Notre ambiance est toujours la même et notre isolement plus sévère que jamais. Nous sommes à 6 km plus près de vous, élargissant un bout de route que nous terminerons bientôt, vu qu’il s’agit de quelques mètres. Par conséquent, nous pensons que nous ne resterons pas longtemps dans ce village.
Tu me demandes si nous avons un endroit où nous réfugier en cas de bombardement. Eh bien oui nous avons un refuge tout près d’où nous dormons. Jusqu’à maintenant nous n’en n’avons pas eu besoin.
En ce qui concerne la carte de travail, tout comme Sebastian tu dois la faire aussi vite que tu le pourras. Cela est indispensable pour Sebastian parce que, étant un homme, on peut l’arrêter sur la route pour lui demander ses papiers. Dans la dernière lettre que je lui ai écrite je lui conseille de ne pas oublier les démarches indispensables pour obtenir sa carte. Si par hasard il y a un contretemps parce qu’il se trouve dans un autre département, il est préférable qu’il revienne avec toi, car maintenant le travail ne lui manquera pas. Les patrons disent qu’ils aiment beaucoup nos fils, mais apparemment, ils ne font pas preuve de bonne volonté pour leur arranger les papiers. « Bien faire et laisser dire ».
Parfois, je crois que le gouvernement français nous a trompé et que les français sont en train de faire de même. Puisque je n’ai plus confiance en personne, hormis vous, je dis à ces Messieurs que je suis le père et que, comme tel, je ne veux pas qu’un jour il arrive que mon fils ainé ne puisse pas circuler, pas même pour venir à bout de la paperasse administrative nécessaire.
Etant absent, quelqu’un d’autre doit être la tête de la famille. Nous ne demanderons rien d’autre. Qu’on ne nous concède pas une aussi petite chose ne me parait pas bien. A quoi sert qu’on nous dise qu’on nous aime beaucoup si ce n’est que pour nous faire pleurer. Je me rappelle ce que me disaient mes parents : « Mes fils, tâchez de travailler pour votre compte, même en ramassant des papiers le long des rues, car même le meilleur des patrons mérite d’être pendu à la girouette de la plus haute tour ».
Benigna tu me dis que Juana est à nouveau en ta compagnie, ce qui me plait puisque c’est ce que tu désires également. Savoir que ses patrons lui payaient 40 francs est une honte., d’autant plus que la pauvre fille s’éreintait au travail. Dans ces conditions on peut avoir des domestiques et les aimer. Ce sont eux qui nous mettent dans des conditions qui nous empêchent de prendre un autre chemin. Ces choses-là ne se font que lorsque quelqu’un est obligé de les faire pour se sauver d’un désastre tragique. Mais tant qu’il y a des possibilités de vie et d’espérance pour tous, il est criminel de se comporter de cette façon. Il est évident que comme on dit habituellement, du peu ils ne nous donnent pas grand-chose et du beaucoup rien du tout. L’estime qu’ils disent avoir pour nous n’est qu’un prétexte pour mieux profiter de nous. Ils sont ce qu’ils sont et non ce qu’ils nous font croire qu’ils sont. On a raison de dire : « Le singe est toujours un singe, fût ‘il déguisé en prince ». Même en sachant que le monde est ainsi depuis toujours c’est-à-dire que tout ce qu’il y a de meilleur va aux riches, que les maigres maigrissent pendant que les gros grossissent, et que ceux qui travaillent doivent gagner suffisamment pour pouvoir manger, se vêtir et subvenir aux dépenses de leur famille. En ce comportant comme ils le font et l’ont toujours fait, je ne comprends pas que la bourgeoisie s’étonne qu’éclatent des révolutions.
Je dis la même chose pour Sebastian et Valero, lorsqu’ils termineront leur contrat, ça ne vaut pas la peine qu’ils soient si loin, d’autant plus qu’ils ne gagnent qu’une misère. Ils t’aideront davantage en les ayant près de toi.

Marcelino Sanz Mateo

Afin de présenter les travaux en cours sur le site du vieux Montlaux, nous avons organisé , la Mairie de Montlaux et notre association, une visite personnalisée pour nos donateurs des fouilles réalisées par deux archéologues du département.

Ces deux visites ont réuni une trentaine de visiteurs. Si celle du matin s’est passée sous un temps relativement clément, celle de l’après-midi fût bien arrosée.

explications sur les endroits sondés par nos deux archéologues.
Juste avant le départ, Camille Feller présente le site du vieux Montlaux
champ de blé au dessus du vieux Montlaux (photo P Lemaire)

Soixante-neuvième lettre de Marcelino, écrite de Novéant sur Moselle, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11 CTE.

Novéant sur Moselle*, 16 mai 1940

En lisant votre lettre du 11, je me réjouis et je vous remercie doublement pour m’avoir envoyé vos félicitations le jour de mon anniversaire, et toi, en particulier, pour m’avoir rappelé l’anniversaire de notre mariage. Dans la tragédie que nous vivons, nombreux sont les dangers que nous avons traversés, chacun se son côté. Mais puisqu’aujourd’hui nous pouvons échanger ces souvenirs mémorables, ne soyons pas tristes. Pour l’instant, l’essentiel est que nous ayons le bonheur, tant de nos enfants que de nous-même, de nous conserver en bonne santé pour continuer à vivre avec patience, et avec l’espérance, qui, elle est notre consolation. Nous attendons les mois et même l’année à venir pour voir la fin de notre calvaire, et de nouveau entreprendre normalement notre vie, en étant heureux comme nous le fûmes, cela fait peu. Comparés aux jours que nous vécûmes en collectivité à Villafranca del Penedes, avant notre exode, ceux-là semblent à que nous conte Don Quichotte**:

« Tiempos llamados dorados porque, entonces, se ignoraba el oro y las palabras tuyo y moi. La tierra madre ofrecio el agua de sus fuentes para beber, las plantas y los frutos para comer. Entonces todos era paz y concordia. No se necesitaban ni guardias ni jueces porque todos respectan lo justo y honesto ».

« Les temps appelés dorés, parce qu’alors ont ignorait l’or et les paroles. La terre nourricière offrait l’eau pour boire, les plantes et les fruits pour manger, alors tout était paix et concorde. Aucun gardien ni juge n’était nécessaire car tout le monde était juste et honnête ».

Benigna, comme tu le vois en tête de cette lettre, nous avons changé de ville. Nous ne savons pas encore quel sera notre travail. Sitôt que nous serons à demeure je te mettrai au courant de tout. Dans ma prochaine lettre j’aurai des sujets pour t’écrire plus longuement.
Transmets de ma part les félicitations à Madame « Engracia ». Je comprends la joie qu’elle à eue en voyant son fils venir à la maison avec une permission. Qu’est ce qu’une mère peut désirer de plus cher ?
En ce qui concerne notre situation, tu me dis que vous êtes au courant des rumeurs affirmant qu’on a bombardé l’endroit où nous sommes. Tu peux être tranquille pour le moment nous n’avons aucune sorte de danger. Nous n’avons même pas eu une alerte.

Marcelino Sanz Matéo

*/ Novéant sur Moselle est une ville située à quelques km au sud-ouest de Gorze.

**/ Marcelino admirait particulièrement trois personnages : « Jésus-Christ, Pasteur et Don Quichotte ».

Novéant sur Moselle