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Vingt-septième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine Chatelard, 24 juillet 1939

Je réponds à votre lettre du 21 du courant dans laquelle vous me posez des questions sur les fiches. Eh bien aujourd’hui nous les faisons pour ne pas perdre de temps. Vous me dites que vous vous ennuyez tous. Soyez patients qui est déjà acheminé l’instance, et croyez que quelque chose sortira de ceci. Ne parlons plus de l’Espagne car il semble que la situation est très tendue. Je suis très surpris de ce que tu me raconte sur « les Calandinos » puisque j’étais convaincu qu’ils étaient partis en Espagne pour m’avoir dit que « l’Encarna » * partait. Et Estéban, où est-il ?
Cher fils Sebastian. Après t’avoir souhaité une bonne santé, je passe à ceci : pour moi la politique c’est terminé. Nous avons souffert de tant de tromperies que, crois-moi, je n’écoute personne : un homme averti en vaut deux. Quand je serai en votre compagnie, nous chercherons une maison parce que le marié, maison veut, où qu’elle se trouve et je travaillerais à ce que nous puissions y vivre en paix. Je ne fais confiance nia aux uns, ni aux autres. Il est bien connu qu’autant de têtes, autant d’opinions. Je ne comprends pas très bien ce que tu me dis de ton travail. Est-ce que soudain l’atelier ne te plaît plus, ou est-ce le village ? Peut-être que c’est le terrain, trop vallonné, puisque vous me dites que c’est très mauvais, pas de champs pour l’agriculture. Est-ce très froid ?
Souvenirs pour tous les Espagnols et les gens de votre confiance.

Marcelino Sanz Mateo

*/Diminutif de Encarnacion.

Vingt-sixième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine Chatelard, 22 juillet 1939

Dans ta lettre du 19 tu me dis que je ne raconte rien au sujet de la fête du 14 juillet. Cela m’étonne car, dans ma lettre du 18, je vous racontais que, lors de cette fête, un concours de Marabouts fût organisé, ornés de fleurs et de branches. Sachez que le nôtre a remporté le premier prix. Nous l’avons décoré en faisant le drapeau français avec des fleurs. Le capitaine et son assistant étaient très reconnaissants. Les deux m’ont félicité car j’étais responsable dudit marabout. Comme vous le voyez, partout où je vais, le malheur d’être responsable de quelque chose me suit.
Note : les Français appellent « marabù » la tente, ou baraque pour nous, dans laquelle nous vivons et ils l’écrivent « marabout ».
Tu me demandes d’écrire en Espagne, pour les questionner sur la maison. Cela ne se peut pas parce qu’ils sont très réprimés et je ne veux pas les compromettre. Tout ce que je dis, c’est que nous allons bien. Je ne veux pas avoir la douleur de savoir que quelqu’un dans ma famille s’est fait prendre à cause de moi. Il est bien dit que le mal que l’on fait, cause plus de mal à celui qui le fait qu’à celui qui le subit. Puissions, nous au moins, correspondre normalement.
A propos de ce que tu me dis sur les réfugiés qui retournent en Espagne, je te répète que nous n’avons pas à nous en préoccuper. Le jour viendra où nous pourrons disposer de nous-même. Pour le moment, ce qui nous intéresse le plus, c’est de nous rejoindre. Ensuite, nous verrons comment nous agirons en fonction des progrès de la politique internationale. A première vue, je pense que très bientôt il y aura des changements importants.
Pour te répondre sur ce que tu demandes sur « el Fin », saches qu’il a écrit plusieurs lettres au village et qu’il n’a pas reçu une seule réponse. En d’autres termes, il ne sait rien du tout de sa famille (femme, mère, frères). Nous pouvons donc être satisfais puisque, comme tu le vois, il y a beaucoup de gens qui sont plus malheureux que nous.
Cher fils Sebastian. Tu ne peux pas imaginer la joie que tu me donnes en me disant que tu travailles avec plaisir à l’atelier. Eh bien oui, je suis très content que tu aimes le travail, parce que c’est en se comportant ainsi que tu deviendras un homme. L’homme bon gagne toujours une récompense. De mes parents, je me souviens de cette phrase : le bon vin, apporte la vente avec lui. En outre, en voyant ta satisfaction, j’ai l’espoir qu’avec l’enseignement nécessaire, tu pourras devenir un mécanicien, ou quelque chose liée à la métallurgie. Pour notre part, nous ferons tout pour que tu arrives à concrétiser tes désirs.
Cher fils Valero. Dans ta lettre tu me dis le travail que tu as choisi. Je ne veux pas que tu saches ma pensée. Pour moi, ce que tu penses c’est de ne pas travailler, car être coiffeur n’est pas un métier. Avec lui, tu ne pourras jamais obtenir de prestige.
Anastasio, lis les lettres que j’écris à tes petits frères et souviens-toi de mes conseils jusqu’à ce que tu puisses te reconnaitre en eux. Comme vous n’avez pas de livres ; lisez et copiez ce que je vous conseille.
Juana, Lauro et Alicia, ne croyez pas que je vous oublie.

Marcelino Sanz Mateo

Vingt-cinquième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine Chatelard, 18 juillet 1939

Je réponds à vos lettres du 14 et 15 juillet, dans lesquelles, j’ai pu constater que vous êtes en bonne santé et c’est que je souhaite le plus. Ce qui est triste, c’est que tu me dis que votre situation est mauvaise et je ne peux t’aider qu’en te disant dans mes lettres que tu aies de la patience. Courage, ceci finira bientôt et quelque chose va se passer qui viendra changer en bien notre mauvaise situation. Cela ne sert à rien de bouder. Le besoin ne connait pas de loi, alors sans faire de mal à personne, essayez de gagner tout ce que vous pourrez afin de vous acheter ce qui est vital.
Juan a reçu la permission de pouvoir aller chez son oncle et sa tante.
Maintenant il va demander la procédure d’embarquement avec l’espoir qu’ils vont lui accorder ou, au moins, qu’il sera pris en charge. Moi je n’ai pas encore commencé parce que j’espère qu’ils nous donneront ce qu’ils nous ont promis. Ce que nous devons savoir, est s’ils nous regrouperont avant d’embarquer. Si après une semaine ils ne répondent pas, nous ferons plus de demandes. Dites-moi vite tout ce que vous savez sur cette affaire.
Nous aussi avons également eu une grande fête. Ils nous ont donné un bon repas. Des matchs de football, du tiré de corde, des courses et un concours de marabout a été organisé. Le nôtre a gagné un prix, deux bouteilles de bière plus un paquet de tabac.
Tu me diras si les familles qui vont à l’étranger paient pour le voyage ou si elles demandent seulement. Renseigne-toi du mieux que tu peux. J’imagine qu’avec autant d’Espagnols, il est logique qu’il y ait une famille qui pense (et même s’informe) à partir à l’étranger sans obligation de payer le voyage. S’il y en a dis-moi comment procèdent-ils.
Tu me dis que tu as des douleurs osseuses ou des rhumatismes, et tu me demandes si je souffre du dos. Je me sens de cinq ans plus jeune et que je n’ai aucune douleur de ce type. C’est pourquoi je suis doublement désolé pour tes douleurs.
En ce qui concerne la situation en Espagne, nous la voyons si mauvaise et si difficile que seule une contre révolution pourrait y remédier. Mais cette solution nécessiterait plusieurs jours et de nombreuses victimes.
Tu me rappelles que notre fille Alicia a quatre ans. Je lui ai envoyé des félicitations et toi donnes lui un très fort baiser de ma part. C’est tout ce que nous pouvons faire, en espérant que nous pourrons mieux célébrer son prochain anniversaire, en lui offrant notre présence comme plus grand cadeau.
Revenons à la lettre embrouillée que j’ai reçu d’Espagne. Après beaucoup de réflexion, j’en déduis que cette Manuella est Rosario, et le Tamel est le Chulo.
La Martina est Marta, qui doit être morte à Valencia, et son frère (le fils de Rosario) est le garçon qui est mort. Mon père doit être mort puisqu’ils ne parlent pas de lui et m’envoient seulement des souvenirs de ma mère. Bien que rien ne transparait, la lettre montre la répression et la peur qui règnent au village. Plus j’y pense, et moins j’ai envie d’écrire pour ne pas les compromettre. Ne réponds qu’à la lettre d’Ignacio el Valenciano, quelques lignes en leur disant que nous allons bien, et c’est tout.
Cher fils Sebastian. Tout d’abord je te souhaite une bonne santé, puisque tu en as besoin, et puis je t’assure que ma pensée est en harmonie avec la tienne. Nous irons au Mexique pour nous débarrasser d’une autre guerre et avoir un meilleur avenir. Au sujet de l’atelier, tu me dis que tu es très à l’aise, ce qui me fait me demander pourquoi il serait dommage de te sortir de ce travail, étant la première fois dans ta vie que tu as l’occasion d’apprendre beaucoup, comme tu le dis.
Valéro. Tu m’avoues enfin le travail que tu as l’intention de faire. Je vais te dire que ce travail n’a pas d’avenir en raison de son manque de développement*.
Sebastian peut, s’il s’applique dans le sien, être mécanicien. Je te dis cela, mais fais ce que tu veux faire, même si je te répète que ce que tu aimes je n’appelle pas cela du travail. Je ne veux pas un jour que tu dises que ton père s’est opposé à ta volonté quand tu étais assez vieux pour choisir ton chemin.

Marcelino Sanz Mateo

* (Valero voulait être coiffeur)

Vingt-quatrième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine Chatelard, 16 juillet 1939

Je réponds à votre lettre du 7 de ce mois, que j’ai reçue en retard. Tout d’abord, je te demande d’écrire la date de ma dernière lettre, et ce chaque fois que tu me réponds, comme moi je le fais, juste au cas où nos lettres seraient arrêtées en cours de route. Je vous ai envoyé une lettre le 11 et une autre le 12 et tu ne mentionnes pas si tu les as reçues.
Tu me demandes si je travaille toujours à la même chose. Eh bien oui, je continue à faire la chaussée sur la route.
Je ne crois rien de ce que tu me dis à propos de la lettre que j’ai reçue d’Espagne. Alors relis-la et dis-moi si tu restes sur ta position, ou si tu en as une autre. Je vois toujours la chose très emmêlée. L’unique que je croie est celle qu’a écrite Rosario ou José.
Remercie Madame Engracia pour les cadeaux qu’elle vous a donnés. En ce qui concerne l’Espagne, il faut accorder plus de temps aux choses. Maintenant je veux que tu répondes aux lettres du 11 et du 12 pour connaitre votre opinion. Faites-le par retour de courrier.
Je suis plus qu’heureux de savoir que Sebastian travaille toujours dans l’atelier. Il gagne peu, mais il peut apprendre beaucoup. Celui qui ne sait pas souffrir n’atteint jamais rien. C’est pourquoi l’on dit que l’on se souvient de ce que l’on écrit avec du sang.
Celui qui n’apprend pas ne peut pas comprendre les circonstances dans lesquelles nous vivons. La première chose est de savoir comment gagner la sympathie des autres afin qu’un jour, ils puissent récompenser ta valeur. Il est très important que Sebastian soit dans un bon environnement parce que la graine tombée sur un mauvais sol ne peut germer et croître avec bonheur.
Sebastian, je t’écrirai une autre lettre. Valero, je vois que ton écriture est très bien. Juana, tu me dis que tu es en train de faire des chaussettes, félicitations, apprenez que l’apprentissage est la meilleure chose à faire. Anastasio, en voyant ta mauvaise écriture, je sais que tu étudies très peu. Tu le paieras plus tard. Lauro et Alicia, je suis content de voir que vous jouez beaucoup.

Marcelino Sanz Mateo

Bulletin d’information n° 28 (15 juillet 2019)

Beau champ de lavandes entre Mallefougasse et Montlaux

La grande chaleur du moment, permet de rester au frais devant l’ordi et de rattraper le retard dans la consultation des nombreux documents sur Mallefougasse et Montlaux.

Le travail long et fastidieux de la retranscription des comptes-rendus des conseils municipaux de Mallefougasse de 1790 à 1946 est toujours en cours. Ce sera encore des documents intéressants à vous faire connaître.

Extrait du conseil municipal de 1896 (séance du mois d’août) qui donne son accord pour la construction d’une voie ferrée entre Carpentras et Saint-Auban, en passant par Sault, Banon, Saint Etienne les Orgues et Mallefougasse.

Il y a aussi la retranscription des états des biens du clergé sur les communes de Mallefougasse (20 octobre 1790) et Montlaux (2 prairial An 2 à la Révolution), enregistrés aux Archives Départementales des Alpes de Haute Provence par Anne et Daniel Meslé.

Couverture de celui de Mallefougasse

Le relevé des anciennes citernes à eau de Mallefougasse est en cours.

Citerne à la grand pièce

L’envoi des lettres de Marcelino se poursuit. Elles sont expédiées à ce jour à plus de mille adresses mails. Les commentaires que nous recevons en retour sont plus que passionnants. Nous les gardons en mémoire afin de les utiliser ultérieurement lors d’une conférence ou d’une exposition. Un voyage à Mézin dans le Tarn et Garonne est programmé afin d’essayer de trouver des documents ou photos sur la famille de Marcelino.

10 juin 2019 dans la vallée du Parpaillon. L’embase des tentes marabouts est toujours visible

Le thème de la Retirada continue aussi à intéresser de très nombreuses personnes. Après une conférence dans le Var, et une autre à villeneuve, d’autres sont en prévision dans plusieurs départements.

Les Archives Départementales des Alpes de Haute Provence souhaitent nous associer à une sensibilisation sur ce sujet. D’ores et déjà, une journée pour les écoles est programmée le 4 octobre à Digne.

Le samedi 17 août une soirée autour de la Retirada est organisée, avec la projection du film documentaire retrouvé dans les archives de l’institut Jean Vigo à Perpignan (tourné en février 1939). Pour le repas (paella, dessert, boisson) réservations avant le 10 août.

Avant les grosses chaleurs de ces derniers jours, nous avons aussi bien travaillé sur le vieux village de Montlaux. Avec Camille Feller la Maire de Montlaux et l’architecte conseil du chantier, nous avons reçu sur le site le responsable de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) d’Aix en Provence. Une autorisation de sondage dans l’église est en cours d’autorisation. Elle va permettre de situer le niveau du sol de l’église Saint Jacques.

Les amis de Saint Jacques de Compostelle vont nous aider dans nos recherches sur l’histoire du vieux village. Ils vont chercher dans les Archives Départementales et Diocésaine les traces du passé.

Nous avons aussi travaillé au débroussaillage du site (plusieurs journées). Les bâtiments et rues du village commencent à réapparaitre, ce qui permet à Xavier notre architecte de mieux comprendre la structure du vieux Montlaux et d’en relever mesures et plans.

Si vous voulez vous joindre à nous dans cette passionnante aventure, vous êtes les bienvenus.

La rue commence à se dessiner.

Aidez-nous à sauver le vieux Montlaux. Une souscription est ouverte auprès de la Fondation du Patrimoine. Pour plus de renseignements, contactez-nous.

Patrick

Extrait d’une lettre de Juan, le gendre de Marcelino et époux de Maria sa fille, écrite de la Condamine le 14 juillet 1939.

La Condamine Chatelard, 14 juillet 1939

Aujourd’hui nous sommes en fête afin de commémorer le 150ème anniversaire de la République Française.

Hier, les jardiniers espagnols, le chef des menuisiers et moi, son interprète, fûmes désignés par le capitaine français et le commandant espagnol pour décorer le campement avec des arcs de triomphe. Aujourd’hui, à cinq heures et demie du matin ils ont tiré des salves de fusils. Ensuite à neuf heures et demie, ils nous ont fait défiler en passant devant le drapeau français. A la fin, le chef des campements nous a dit dans son discours :
« Avec cet accueil vous me prouvez votre bonne volonté et votre aide pour commémorer le 150ème anniversaire de notre République. Sachez qu’après vous avoir accueillis, la France saura sous peu de temps vous faciliter la liberté pour pouvoir, à ceux qui ont de la famille ici, vous unir avec elle pour continuer à vivre en France. En plus, nous désirons qu’à bref délai vous puissiez célébrer la fête de votre République en Espagne… »
Lorsqu’à la fin de son discours il cria : « Viva España / Vive l’Espagne ! », nous avons crié à l’unisson : « Viva Francia / Vive la France ».
Comme tu vois « ces gens » sont très contents de notre comportement et de notre ardeur au travail. Ils nous ont fait une bonne impression. Ensuite, le capitaine du campement a passé en revue les baraques fleuries par leurs occupants. Je suis sûr qu’on donnera un prix à notre père pour avoir si bien décoré la baraque dont il est responsable. Dans celle où je suis, tous, moins un compagnon et moi-même, ont leur épouse et leur famille en Espagne, mais d’un commun accord, nous avons seulement nettoyé l’intérieur en signe de protestation pour nous tenir séparés de nos êtres chéris.
Hier soir j’ai lu dans un journal français un article très intéressant pour nous. Je l’ai traduit pour tous. Lis-le attentivement :

« Seule la solidarité internationale peut continuer à recueillir des fonds nécessaires pour aider les réfugiés espagnols. J’invite les gouvernements démocrates à les accueillir. Là est la solution de l’angoissant problème posé par ces êtres qui ne peuvent retourner dans leur patrie sans risquer leur vie. L’aide aux réfugiés espagnols, affaire qui émeut l’opinion publique du monde démocrate, sera l’unique tâche de la conférence internationale qui aura lieu dans le centre Marcelin Berthelot à Paris le 15 et le 16 juillet, où se réuniront les délégués de vingt-deux pays. Dans cette conférence se feront valoir toutes les propositions susceptibles de résoudre à l’unanimité la douloureuse situation des républicains espagnols, de leurs familles, des orphelins, des volontaires internationaux, blessés et mutilés, réfugiés en France et en Afrique du Nord. Nous devons les aider matériellement, et solutionner leur répartition dans de pays démocrates ».

Maria, cela sera notre salut…
Aujourd’hui, tout a été extraordinaire, nous avons très bien déjeuné le matin, et à midi nous avons eu un très bon repas avec dessert, rhum, plus pour chacun de nous deux paquets de cigarettes et un cigare…Alors que je suis en train de t’écrire dans ma baraque, j’entends chanter et rire mes compagnons. En ce qui me concerne, cette fête augmente la tristesse que j’ai de ne pas t’avoir près de moi…
…Comme tu le sais, pour l’avoir lu dans ma lettre datée du 13 juillet 1939, j’attends la réponse de mes oncles afin de solliciter l’autorisation de rester définitivement en France, vivant les premiers mois avec eux, et cela malgré que tu me dises souvent que tu n’aimes pas la France. Crois-moi, je suis sûr que le jour ou nous aurons la liberté de pouvoir vivre ensemble pour toujours, tu aimeras la France. Je te le garantis pour avoir, comme tu le sais l’expérience d’avoir vécu quelques années dans ce pays…

C’est exceptionnel, nous avons trois photos de la cérémonie du 14 juillet 1939

(Les croix ; Juan photo du haut / sa tente photo ci-dessus)

Vingt et unième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine, dans les Basse-Alpes, ou il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine, 23 juin 1939

En ouvrant votre lettre, grande a été ma surprise en vous voyant tous sur la photo que vous m’avez envoyée. Nous l’avons regardée et regardée à nouveau avec satisfaction et enchantement. Maria, Sebastian y Valero sont bien. Anastasio parait mince. Lauro et Alicia sont très sérieux et toi, la mère, hautaine comme une reine, avec les lèvres serrées. La prochaine fois que vous pourrez vous photographier, essayez de vous mettre tous pareil. De toute façon vous avez bien fait. Nous aussi lorsque nous aurons des francs nous irons nous faire photographier pour vous envoyer les photos. Nous aurons au moins la petite satisfaction de nous emmener les uns les autres dans la poche.
Au sujet de ce que tu me dis sur la politique concernant les réfugiés, tu sais ce que je dis dans toutes mes lettres : ne t’enflammes pas, et ne te précipites pas, le temps soigne les blessures. Ecoute ce qui se dit : On ne peut pas dire avec le temps passé ce qu’ en tout temps on ne peut faire. Il faut prendre les choses calmement. Je vous joins la lettre que j’ai reçue du village pour que tu puisses voir ce qu’ils disent. Lis-la et relis-la attentivement et après dis-moi ce que tu en penses. Voyons si nous pouvons voir ce qu’ils veulent nous dire. Cela me parait très compliqué. J’ai reçu cette lettre qui était avec celle qu’a reçue Ignacio Hernandez. Voici la copie exacte :

Mon cher Frère. Je serais très heureuse si lorsque tu recevras cette lettre tu te trouvais en bonne santé (grâce à Dieu). Marcelino, « le Tamel » est ici avec nous. Jusqu’à présent nous sommes tous les trois en bonne santé. Martina est partie et nous n’avons aucune nouvelle, ni d’elle, ni de son frère. On nous a dit qu’elle s’est mariée avec un « Asturien » mais, mais n’y prête pas attention. Prends soin de toi d’abord. Je vous envoie le bon souvenir de ta mère et de tes sœurs. Reçois un million de baisers et d’embrassades de celle qui t’aime et ne t’oublie pas un instant.

Josefa Sanz, Manuela Hernandez y Tamel.

Dimanche dernier j’ai envoyé une lettre à ma sœur Isabel*. Peut-être que nous allons avoir clairement des nouvelles de la famille et de l’Espagne. Ne leur écrivez pas, je vais m’en charger. Maintenant, je vais répondre à la lettre que j’ai reçue. J’essaierai de leur faire comprendre que je saisis ce qu’ils veulent me dire. Cette lettre me plonge dans l’incertitude. Je n’arrête pas d’y penser parce que je n’arrive pas à la comprendre. Peut-être allez vous y arriver. Cependant, j’ai plus ou moins une idée. Lorsque vous me répondrez dites-moi ce que vous avez compris de son contenu. Je vous dirai si vous pensez la même chose que moi. Peut-être qu’entre nous nous allons démêler ce sac de nœuds. Le 23 après-midi nous ne travaillons pas parce que nous allons nous doucher. Dimanche on nous a injecté un vaccin. J’ai eu mal au dos pendant deux jours, mais aujourd’hui je vais tout à fait bien. On raconte que bientôt nous serons vaccinés encore une fois. Si c’est bien vrai que l’on souffre un peu, cela vaut la peine d’échapper aux maladies. Les compagnons du baraquement « les Sulema » ont déjà les papiers en règle pour partir en Espagne. Il ne leur manque seulement que le visa des autorités françaises. Nous pensons qu’ils seront prêts bientôt. Grâce à eux nous pourrons facilement obtenir des nouvelles du village.
Mes chers enfants. La prochaine fois vous m’écrirez tous. Je serai content d‘apprendre comment vous étudiez et comment vous jouez. Dites-moi aussi si le climat vous plait là ou vous êtes, parce qu’il me semble plus frais que le nôtre.
Sebastian, si tu continues à ne pas pouvoir travailler, essaie d’écrire beaucoup parce que tu es très en retard en orthographe. C’est pour ton bien que je te réprimande. Je pense que tu vas m’obéir. N’oublie pas que la connaissance ne prend pas de place.
Sans rien d’autre à vous dire, ceux du village envoient leur salut à tous les espagnols qui se trouvent avec vous.
Et « la Galera », as-tu des nouvelles de son mari ?

Marcelino Sanz Mateo

Au premier plan de gauche à droite : Anastasio, Alicia et Lauro Daniel Au second plan : Maria et Benigna Au fond : Sebastian, Valero et Juana.

*/Marcelino était le seul garçon de la famille. Il avait encore cinq sœurs au village.

Vingtième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine, 20 juin 1939

Tout d’abord, je dois exprimer la mauvaise impression que m’a fait votre lettre du 15, en voyant l’aggravation de votre état. D’abord, je suis désolé pour le travail de notre fils Sebastian, qui, je suppose, vous a contrarié. Je suis doublement désolé, d’abord pour don apprentissage et ensuite parce que vous perdez son aide, si petite soit-elle, quand vous en aviez tant besoin.
En ce qui concerne ma situation, vous ne devez pas souffrir, puisque Juan et moi, nous ne souffrons d’aucun mal, et même nous grossissons, à cause de l’air sain d’ici. Ne vous occupez pas de nous. Je me considérerais heureux si je ne me demandais pas avec anxiété : « Si Sebastian ne travaille pas, il vous manquerait l’essentiel pour manger et vous habiller, puisque sans argent on n’obtient rien dans ce monde ? » Comme un mal ne vient jamais seul, malheureusement, Juan comme moi-même, ne pouvons rien vous envoyer si nous ne sommes pas payés d’avantage, parce qu’ils nous donnent seulement de quoi vous envoyer notre amour par la poste. Le reste dont nous n’avons pas besoin puisqu’ils nous donnent le gite et le couvert. Nous vivons en pensant vous envoyer les francs dont vous avez besoin et que nous n’avons pas pour l’instant, malgré le fait de travailler toute la journée. Cependant, ce n’est pas une chose sans fin. Comme je te l’ai dit à plusieurs reprises, je te demande de nouveau d’être sereine et les connaissances suffisantes pour supporter la situation présente. Réalise que nous sommes en faveur et que celui qui vit des faveurs doit endurer la servitude. Prends-le avec patience, avec le temps tout s’arrange. Sois calme. Bien que tu aies entendu que vous alliez être transférés dans un camp et que tu sais que trois cents réfugiés retournent en Espagne, n’ai pas peur et ai l’espérance que j’ai moi-même. Ma consigne est : attends, quand une porte se ferme, une autre s’ouvre.
Concernant le voyage au Mexique, sur dix que nous sommes dans la tente, seuls Juan et moi-même avons signé. Les autres ont leur famille en Espagne. Ils préfèrent attendre une amnistie et rentrer chez eux. Sur les cinquante que composent notre section, nous ne sommes plus que dix-huit à vouloir partir en Amérique. Donc si nous calculons la moyenne pour la compagnie dans son ensemble, nous ne sommes que le tiers des hommes à être prêts à émigrer pour la deuxième fois. Maintenant, nous les volontaires devront attendre le jour de l’embarquement. Et nous partirons même si cela nous fait du mal. Le sort en est jeté, et celui qui ne se risque pas, ne traversera jamais la mer. D’ici là, nous ne pouvons rien faire. Ils doivent nous donner le feu vert ; donc je vous tiendrai au courant et vous guiderai quand je le pourrai sur cette question importante.
Mon cher fils Sébastian. Ta nouvelle du 15 m’a causé beaucoup de chagrin parce que je comprends le ressentiment que tu as de ne pas pouvoir continuer dans l’atelier par ordre des autorités. C’est un malheur pour tous. D’abord pour toi, puisque tu ne peux pas t’instruire, et deuxièmement, pour ne pas être en mesure de réaliser le désir que tu avais d’aider ta mère et tes frères, choses qui nous rendaient si heureux. Que cela ne t’empêche pas d’écouter ton père. Ne désespère pas. Supporte les désagréments avec patience, patience jusqu’à ce que nous soyons libres et ayons les moyens de nous occuper de vous comme vous le méritez jusqu’à votre complet développement, objectif que vos parents n’abandonneront jamais. Je te charge de dire à tes frères que vous avez un père qui ne dort pas une nuit sans penser à l’éducation de tous, pace que je veux que, quand vous serez majeurs, vous ayez les moyens de vivre une vie moins esclave que la mienne. Le problème est que si nous ne travaillons pas, nous ne pourrons pas vous donner l’éducation nécessaire. Pour l’instant, courage malgré notre infortune. Soyez bons : la bonté peut-être une arme contre la méchanceté des hommes.

Marcelino Sanz Mateo

Dix-huitième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.

La Condamine, 15 juin 1939

Tour d’abord, je veux vous exprimer la joie que m’ont causées vos lettres du 10 et 12, car je suis très heureux de savoir que vous êtes tous en bonne santé et toi en particulier puisque tu as récupéré.
Tu me dis que vous avez aimé mes dessins. Saches que j’en ai beaucoup. Je les garde pour quand je serai avec vous, ils peuvent être utiles pour nos enfants. Donc, avertissez-les de garder ceux que j’envoie. Si Sebastian a la chance un jour de devenir un professionnel dans l’atelier, qu’il n’essaye pas de donner ces dessins à qui que ce soit sans en garder une copie, qu’Anastasio peut dessiner. En parlant de Sebastian, tu me diras qui sont, et comment s’appellent ces personnes qui vous aident tant pour que je puisse les saluer, en attendant le jour où nous pourrons remplir nos obligations envers eux.
En ce qui concerne Madame Engracia, dans cette lettre, je t’envoie une carte pour la remercier de toute l’aide qu’elle vous apporte de manière désintéressée. Il est vrai que : » les actions parlent plus que les mots ».
A propos du fait qu’ils nous réuniront tous dans un camp de concentration, et bien on ne nous a rien dit. Je promets que nous prendrons soin d’écrire en Espagne. Ne pense pas à nous envoyer des francs, dont nous n’avons pas besoin si ce n’est pour écrire. Bien que ce que nous touchons soit une misère, nous en avons assez pour l’essentiel. Donc vous n’avez besoin d’envoyer de l’argent. Nous avons toujours besoin d’un Duro* pour être riche, mais je ne me suis jamais souvenu avec une telle acuité du dicton qui dit que : « l’argent est roi ».
Tu me dis que vous avez reçu un don des oncles de Juan. Réponds-leur que je suis très reconnaissant. Le jour viendra où nous pourrons les récompenser, eux et tous ceux qui le méritent. Nous devons continuer avec patience, le temps mûri tout, et nous résigner à notre situation. Afin de surmonter les calamités de notre exil**, gardons à l’esprit que nous avons perdu la guerre et qu’après toutes les guerres il a toujours été dit, et on dira toujours « malheur aux vaincus ! » Avouons-le, pour le moment, nous devons en subir les conséquences, mais tout ce que la république a planté sera un jour récolté.
Cher fils Sebastian. Je suis satisfait et plein de joie de lire dans ta lettre que tu eus de la chance dans l’atelier. En tant que père, j’ai l’obligation de te faire des avertissements et des observations. Ils sont les suivants :
La première chose que le Maître fait avec son apprenti ou servant, ce n’est pas de scruter ses aptitudes concernant le travail, car tout s’apprend avec volonté et application, mais c’est s’informer de sa moralité. Par conséquent, je te préviens, une fois admis, la première chose que tu dois faire c’est obéir. Ne réponds jamais, sans pour autant avoir l’âme d’une cruche, comme on dit.
Deuxièmement n’écoute pas les conseils de tes pairs ou de tes amis qui vont être aveuglément contre les patrons en pays étranger.
Troisième point ; si un jour tu trouves des pièces de monnaie, ou quelque objet tentant dans l’atelier et ses dépendances, ne pense jamais à les cacher car c’est un appât volontaire mis en évidence pour les mains de celui que tu sers, pour tester ton comportement. Tomber dans ce piège est suffisant pour passer pour un homme de peu de confiance. Alors sois conscient, non seulement ce que tu trouves au sol, mais aussi ce qui est à portée de main.
Quatrièmement : si on te confie de l’argent pour faire des achats, ne garde même pas un sou, parce que ce serait un grand mécontentement pour toi. Bien que pauvre, nous avons toujours vécu tranquillement.
Cinquièmement : ne joue pas à faire des paris avec qui que ce soit, car on sait : « celui qui parie mal, s’allonge ». Pour terminer, fuis les discussions politiques. Si quelqu’un te lance une pique sur ce sujet, réponds que tu ne comprends rien du tout à cela, parce que tu es trop jeune. Sois respectueux et même gentil avec les bourgeois que tu sers car ils sont français et sont dans leur pays. Par conséquent, nous devons faire semblant d’aller y vivre. C’est l’une des expériences héritées de la guerre. Suis bien ces avertissements en te disant que la politesse n’ôte pas la bravoure. Au mal des autres, oppose ta sagacité. D’après ce que tu me dis sur les photos, je ne peux pas te répondre puisque je n’en ai pas reçu. Tu me donneras plus d’explications.

Marcelino Sanz Mateo

*/Un Duro = 5 pesetas

**/La traduction exacte serait un arrachement à la terre, terme nettement plus violent que celui d’exil.

Dix-neuvième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE. (Lettre à Madame Engracia).

La Condamine, 15 juin 1939

Madame Engracia, appréciée et noble espagnole.

Dans toutes ses lettres, ma femme m’informe de votre bon comportement, et aussi des sacrifices que vous faites en faveur de nos enfants.
Avec cette simple lettre je viens vous saluer.
Je m’offre à vous, comme un serviteur qui désire accomplir son devoir de père, d’époux et d’ami. Je vous promets de faire, dès que je le pourrai, tout ce qui est possible pour payer les désagréments, que sans le vouloir, vous a causé l’arrivée de ma famille dans votre village de Mézin. Chose promise, chose due. Bien que l’on affirme que l’amour n’admet que l’amour pour paiement, je reste à votre entière disposition, pour tout ce à quoi je pourrai vous servir.
Je souhaite pouvoir rapidement vous rencontrer et vous connaître comme vous le méritez. Je souhaite que cette tragédie finisse rapidement afin de pouvoir honorer de notre amitié des personnes méritantes comme vous.

Votre serviteur zélé qui embrasse vos mains.

Marcelino Sanz Mateo