Vingt-deuxième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine, dans les Basse Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine, 11 juillet 1939
Dans ta dernière lettre tu me dis que vous allez bien, ce dont nous sommes heureux, et aussi que vous n’avez pas reçu de nos nouvelles, ce qui est étrange parce que nous écrivons immédiatement après avoir reçu les vôtres. Nous le faisons ainsi parce que, précisément, le seul plaisir que nous avons est de recevoir des lettres. Je pense que pendant que je vous écris, vous aurez reçu ma lettre précédente.
Je dois te dire que nous nous sommes fait tirer le portrait, Juan et moi pour que vous puissiez nous voir. Je me suis dépeint avec le groupe de la pièce. J’ai acheté deux photos : l’une pour moi et l’autre pour vous permettre de découvrir les travailleurs de notre section. De plus, nous voulons nous photographier tous sous la tente de campagne, la baraque tente, afin que nous ayons un souvenir s’ils nous séparent.
Malheureusement, je pense qu’il nous reste que peu de jours où nous continuerons ensemble, puisque « les Sesé et Ignacio ou plutôt le Valenciano » ont les avals pour revenir en Espagne. Entre-temps, nous avons reçu du Gouvernement français une circulaire stipulant que chacun d’entre nous doit demander où il veut aller, soit en Espagne, soit dans une autre nation. Vous me direz par retour de courrier s’ils vous ont dit quelque chose de nouveau pour être d’accord sur ce que nous pensons. Je suis toujours dans le même état d’esprit : aller au Mexique, parce que pour l’Espagne, je vois très mal la chose pour les républicains. Je te le répète : dis-moi rapidement si, comme je le crois, vous avez reçu la circulaire demandant une telle alternative. Dans l’affirmative, envoyez-moi votre réaction.
Le 14 courant, nous aurons une fête en l’honneur de la République Française, mais on ne nous a pas dit si nous participerions aux festivités. Ici, nous avons un temps très bon et très sain. Nous n’avons ni mouches, ni puces, ni punaises, ni poux et aucune autre classe de bestioles amies de la misère. Nous vivons propres et mangeons bien. Comme je voudrais que tu puisses dire la même chose ! Dites-moi exactement quel est votre état actuel.
Je suis satisfait de savoir que notre fils Sebastian est retourné à l’atelier parce que ses Maîtres l’apprécient beaucoup, malgré le peu qu’il a travaillé à la forge. Prends soin de lui et dis-moi quel est exactement son mal. Je veux aussi savoir ce que fait Valero.
Comment passe-t-il le temps ? Il a 13 ans et, à son âge, il doit savoir quelle est son but dans la vie. Combien je serai enchanté s’il pouvait suivre son grand frère ! Mais il peut choisir une autre voie, puisqu’il à l’âge pour penser son propre avenir, ou avoir foi en quelque chose.
Marcelino Sanz Mateo.