Soixante-huitième lettre de Marcelino, écrite de Gorze, dans le département de la Moselle, où il travaille à la 11ème CTE.
Gorze, 12 avril 1940
La présente lettre me sert à vous montrer la joie que j’ai eue en lisant votre histoire me racontant le jour historique que vous avez vécu pour être le jour le plus émouvant de tous ceux déjà passés en France.
Je me représente très bien votre joie et votre émotion à être tous ensembles après tant de jours de séparation. La plus heureuse de tous, c’était toi, la mère qui a eu tous tes enfants à ses côtés, heureuse et fière comme la poule entourée de ses poussins.
Le fait de vous imaginer ainsi, ensemble, me suffit pour me sentir moi-même satisfait et fier. Au moins, je sais, et tu le sais aussi, que tous nos enfants sont prés de toi. Pas étonnant que dans votre bonheur vous ayez senti mon absence avec plus de tristesse. Comme toujours, il manque quelque chose pour que tout soit parfait, mais nous ne devons pas gâcher les quelques occasions où nous devons être heureux.
Mon compagnon de Alpes, celui de la province de Huesca, m’a dicté, entre tant d’autres, cette phrase : « Celui qui perd un moment agréable de sa vie est comme celui qui s’endort au milieu d’un banquet ». D’où il suit que ce qui compte dans la vie, c’est de savoir vivre. Il n’y a pas deux sans trois : dans peu de temps tes bras vont me secouer et je peux te dire combien je suis fier d’avoir préservé intact, l’amour et l’espoir de nous retrouver, chose que beaucoup de parents ne peuvent pas dire à cause de cette période si triste sue nous devons subir. Tant que la confiance n’est pas perdue, nous pouvons croire que nous atteindrons ce que nous désirons tant.
Moi je me sens bien, je suis dans le même état que tu peux voir Juan*. Comme je te l’ai toujours dit, et tu peux le vérifier en écoutant ce que Juan répond, ici nous n’avons besoin de rien. Tu n’as pas à souffrir pour moi. En parlant de Juan, je ne lui écris pas, car, le temps que ma lettre arrive à destination, il sera déjà en route pour la Moselle. Par conséquent, je m’adresse à Maria.
Ma chère fille. Ces lignes sont pour te féliciter pour ce jour joyeux. Enfin, ce que tu remuais tant en pensée s’est accompli. Tu te vois déjà ravie parce qui est un aperçu de l’espoir. Tu étreins dans tes bras l’être aimé. Tu as vu comment le jour tant attendu est enfin arrivé ?
Grâce à ta patience, tu as préservé ta santé et tu peux profiter de cette journée inoubliable. J’ai toujours dit qu’il ne fallait pas désespérer, je n’ai jamais donné de mauvais conseils. Pour ne pas perdre le cœur et la force dans la résignation, il faut répandre les peines dans l’air pour que le vent les emporte !
Donne le bon souvenir à tes employeurs, à Mesdames « Engracia et Teresa » à tes frères et sœurs et enfin pour terminer, je viens embrasser et réconforter celle qui en a le plus besoin, c’est-à-dire toi, l’épouse et mère.
Marcelino Sanz Mateo
*/ Voir le bulletin suivant pour les explications sur les permissions.