Première lettre de Marcelino, envoyée du camp de concentration d’Argelès dans les Pyrénées-Orientales.
Argelès sur mer le 13 mars 1939.
Chère épouse et chers enfants.
J’ai été très heureux de recevoir votre lettre datée du 10, par laquelle j’ai pu constater que vous êtes tous ensembles et que vous êtes en bonne santé, comme moi jusqu’à présent. Je suis également pleinement satisfait car vous avez tous exaucés mon vœu, qui était de recevoir vos signatures enveloppées de baisers et embrassades. Vos désirs sont aussi les miens. Je pense qu’ils se réaliseront bientôt.
Sébastian, je suis satisfait de ta lettre perce que j’y vois ta bonne volonté de vouloir travailler, étant donné que c’est le destin de l’homme, mais je vais te donner un conseil…Plus qu’un conseil il s’agit d’un avertissement, Ce n’est pas que je ne veux pas que tu ailles travailler, c’est tout à fait le contraire. Encore une fois, j’ai été ravi de ta bonne volonté mais je te rappelle que tu n’as pas de papiers, et comme vous les jeunes vous n’êtes pas avertis de ce qui peut subvenir, je te préviens de ne pas faire de longue promenade avec le vélo en dehors du village sans être accompagné de cet homme* avec qui tu travailles. Ou sans les papiers pour pouvoir circuler, parce que l’on pourrait t’arrêter et ce serait un grand malheur pour nous tous. Donc reste vigilant.
En ce qui concerne vos questions sur le front, il ne s’est rien passé de plus que ce que vous savez déjà. Je vous raconterai tout quand nous serons tous ensembles. Le jour après que vous soyez tous parti je suis retourné là où je vous ai laissé et je n’ai trouvé personne.
Concernant ce que vous dites à propos du mulet, de la charrette et des vêtements que nous avons abandonnés à la Junquera, il ne faut pas avoir autant de peine. Pour oublier tout cela il faut penser qu’il y aura des jours meilleurs, car après l’orage vient le beau temps. Et même si Franco nous empêchait de revenir dans notre pays, il y en a plusieurs autres qui souhaitent nous accueillir. Si nous arrivons à cette situation extrême, nous choisirons l’Amérique.
Tu me demandes des nouvelles des personnes d’Amposta. Et bien, les premiers jours nous avons vu le père d’Augustin y Nisen, mais cela fait très longtemps que nous les avons revus. Vous pouvez dire à Carmen que nous avons vu son mari. Nous avons également perdu de vue Estéban y Antonio ceux de la Galéra, parce qu’ils ont changé de camps.
Sans rien d’autre à raconter, transmettes mes souvenirs à tous de notre part et recevez la tendresse de votre époux et père qui désire tant vous étreindre.
Marcelino Sanz Mateo
Le compagnon que je vous disais si connu est Francisco « el Fin** », lequel vous transmet son bon souvenir.
*en cachette un agriculteur de Mézin (Tarn et Garonne) embaucha Sébastian pour travailler dans ses champs
** Francisco Garcia « el Fin », Alcorisano, et ami de Marcelino. A partir d’Argeles tous les deux partageront le même sort.