Vingt-sixième lettre de Marcelino, écrite de la Condamine Chatelard, dans les Basses Alpes, où il travaille à la 11ème CTE.
La Condamine Chatelard, 22 juillet 1939
Dans ta lettre du 19 tu me dis que je ne raconte rien au sujet de la fête du 14 juillet. Cela m’étonne car, dans ma lettre du 18, je vous racontais que, lors de cette fête, un concours de Marabouts fût organisé, ornés de fleurs et de branches. Sachez que le nôtre a remporté le premier prix. Nous l’avons décoré en faisant le drapeau français avec des fleurs. Le capitaine et son assistant étaient très reconnaissants. Les deux m’ont félicité car j’étais responsable dudit marabout. Comme vous le voyez, partout où je vais, le malheur d’être responsable de quelque chose me suit.
Note : les Français appellent « marabù » la tente, ou baraque pour nous, dans laquelle nous vivons et ils l’écrivent « marabout ».
Tu me demandes d’écrire en Espagne, pour les questionner sur la maison. Cela ne se peut pas parce qu’ils sont très réprimés et je ne veux pas les compromettre. Tout ce que je dis, c’est que nous allons bien. Je ne veux pas avoir la douleur de savoir que quelqu’un dans ma famille s’est fait prendre à cause de moi. Il est bien dit que le mal que l’on fait, cause plus de mal à celui qui le fait qu’à celui qui le subit. Puissions, nous au moins, correspondre normalement.
A propos de ce que tu me dis sur les réfugiés qui retournent en Espagne, je te répète que nous n’avons pas à nous en préoccuper. Le jour viendra où nous pourrons disposer de nous-même. Pour le moment, ce qui nous intéresse le plus, c’est de nous rejoindre. Ensuite, nous verrons comment nous agirons en fonction des progrès de la politique internationale. A première vue, je pense que très bientôt il y aura des changements importants.
Pour te répondre sur ce que tu demandes sur « el Fin », saches qu’il a écrit plusieurs lettres au village et qu’il n’a pas reçu une seule réponse. En d’autres termes, il ne sait rien du tout de sa famille (femme, mère, frères). Nous pouvons donc être satisfais puisque, comme tu le vois, il y a beaucoup de gens qui sont plus malheureux que nous.
Cher fils Sebastian. Tu ne peux pas imaginer la joie que tu me donnes en me disant que tu travailles avec plaisir à l’atelier. Eh bien oui, je suis très content que tu aimes le travail, parce que c’est en se comportant ainsi que tu deviendras un homme. L’homme bon gagne toujours une récompense. De mes parents, je me souviens de cette phrase : le bon vin, apporte la vente avec lui. En outre, en voyant ta satisfaction, j’ai l’espoir qu’avec l’enseignement nécessaire, tu pourras devenir un mécanicien, ou quelque chose liée à la métallurgie. Pour notre part, nous ferons tout pour que tu arrives à concrétiser tes désirs.
Cher fils Valero. Dans ta lettre tu me dis le travail que tu as choisi. Je ne veux pas que tu saches ma pensée. Pour moi, ce que tu penses c’est de ne pas travailler, car être coiffeur n’est pas un métier. Avec lui, tu ne pourras jamais obtenir de prestige.
Anastasio, lis les lettres que j’écris à tes petits frères et souviens-toi de mes conseils jusqu’à ce que tu puisses te reconnaitre en eux. Comme vous n’avez pas de livres ; lisez et copiez ce que je vous conseille.
Juana, Lauro et Alicia, ne croyez pas que je vous oublie.
Marcelino Sanz Mateo