Troisième lettre de Marcelino envoyée du camp de concentration d’Argelès sur mer.
Argelès sur mer, 3 avril 1939
Dans votre lettre du 31 je vois que votre état de santé est parfait. Notre gendre Juan et moi-même sommes jusqu’à présent également en bonne santé, coexistant dans ce camp. En ce qui concerne les rumeurs selon lesquelles nous allons sortir du camp, ici nous entendons les mêmes chuchotements. En réalité, ils nous demandent et notent la profession de chacun d’entre nous pour, comme nous le pensons, nous faire travailler. Jusqu’à présent, tous les compagnons du premier jour continuons ensemble dans le même baraquement. Tu me supplie de te raconter plus de choses. Mais cela n’est pas possible. Dans une lettre on ne peut raconter que peu de choses. Pour raconter, beaucoup de mots sont nécessaires. Nous en parlerons jusqu’à n’en plus pouvoir lorsque nous serons à nouveau réunis. Ce que raconte la « Voz de Aragon »* ne me concerne pas. Moi je passe mon temps à dessiner quelques inventions qui puissent améliorer les machines à tondre, à battra, le pressoir à raisins, et les composteurs.
Ma chère fille Maria. Voir tes lettres est pour moi une consolation étant donné que c’est la seule chose dont j’ai besoin de toi vu que chaque jour que tu lui écris Juan me communique ton état de santé et les avantages de ta vie de famille.
Mon cher fils Sébastian. Je suis très content de ce que tu me racontes dans ta lettre. Je te félicite pour la bonne volonté que tu montres dans ton travail et pour ce que tu veux faire avec l’argent que tu as épargné, à part m’envoyer des colis. Je n’ai besoin de rien, je te remercie pour ton offre. Vraiment je suis réconforté par le chagrin que tu ressens lorsque tu pense à moi. Merci aussi pour le plaisir que me procure la lecture de tes lettres et plus encore ton désir de m’envoyer le montant de tes pourboires.
Mon cher fils Valero. Tu me dis que je dois venir vous chercher très bientôt. Ce n’est pas le désir qui me manque. Le temps satisfera tous tes désirs, même celui de te serrer dans mes bras comme tu le demandes.
Ma chère fille Juana. Les baisers que tu m’envoies et la tendresse que tu manifestes se concrétiseront un jour, le ciel m’en est témoin. Tant que nous vivrons des moments tourmentés je te demande d’être consciencieuse dans l’aide que tu apporteras à ta mère et à tes frères. Cela te servira pour être une femme respectée.
Mon cher fils Lauro. En voyant ta signature j’imagine la main de ta mère qui guide la plume que tes petits doigts tiennent serrée. Tu me raconteras la prochaine fois si tu continues à être aussi espiègle.
Ma chère fille Alice. J’embrasse ta signature comme si cela était tes lèvres. Cela m’a beaucoup amusé d’apprendre que tu as la langue bien pendue lorsque tu parles français.
Si par hasard quelqu’un vous conseille de revenir en Espagne, n’acceptez rien sans notre permission.
Marcelino Sanz Mateo
*Voz de Aragon est un périodique fondé par Mariano Sanchez Roca.