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La Condamine le 10 juin 2019

Quatre-vingt année après, petite expédition jusqu’au campement de Marcelino (2000m d’altitude) dans la vallée du Parpaillon ou il faisait « très frais ».

Les bases des marabouts sont toujours là, la neige sur les sommets aussi, ainsi que les marmottes.

Quand on est là-haut et que l’on découvre l’emplacement du campement, on ne peut que penser, que ce n’était pas une compagnie de volontaires, mais bien un bagne, loin de tout contact où vivait nos espagnols dans des conditions plus que précaires où ils étaient employés à casser des cailloux pour refaire une route « stratégique » ?

Cet été je souhaite y retourner : s’il y a des personnes pour se joindre à moi manifestez-vous.

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Huitième lettre de Marcelino, écrite de La Condamine dans les Basses-Alpes. Il est à la 11ème compagnie de travailleurs espagnols (11ème CTE).

La condamine, 21 mai 1939

Nous sommes le 21 mai et je n’ai toujours pas de vos nouvelles. Depuis le premier du mois j’attends une réponse à mes lettres. Sans plus tarder je vous rappelle pourquoi nous avons changé de camp le 30 avril ; nous, c’est-à-dire ceux qui se portèrent volontaires, sommes sortis d’Argelès sur mer, et le 1er mai, nous sommes arrivés à notre destination, un village appelé la Condamine dans les Basses-Alpes, camp B. C’est de notre propre chef que nous avons accepté ce transfert, car ils nous ont promis qu’après avoir terminé le travail chacun de nous pourrait se réunir avec sa famille. Avant de te raconter plus avant notre histoire, je t’avertis pour la troisième fois de ne pas te tromper sur l’adresse. Je te la redonne donc :

Marcelino Sanz Mateo
Camp B du Parpaillon
La Condamine (Basses Alpes)

Nous sommes en train de travailler sur une route. Ce terrain est très froid, mais aussi très sain. Depuis mon arrivée j’ai plus d’appétit et je me sens mieux qu’à Argelès. Je te supplie de me répondre sans attendre, dès que tu recevras cette lettre, parce que je suis à la peine de ne pas avoir de vos nouvelles. Je te donne l’adresse pour être sur :

Marcelino Sanz Mateo
Camp B du Parpaillon
La condamine (Basses Alpes)

Ceux du village vous envoient leurs bons souvenirs. Transmettez les nôtres à la Galera et aux Calandinos*.

Marcelino Sanz Mateo

*/Gens du village de Calanda proche d’Alcorisa, et village natal du cinéaste Luis Bunel.

Photo du camp en 1939.
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Bulletin d’information n°27 (11 mai 2019)

Une modification de nos statuts a été faite. Nous avons élargi notre champ d’action aux communes de Mallefougasse et de Montlaux. C’était la bonne solution à avoir, plutôt que de posséder une association par commune. C’est aussi une meilleure visibilité auprès des autorités du patrimoine.

Courant janvier l’association c’est associée à la municipalité pour faire visiter notre église St Jean-Baptiste de Mallefougasse aux architectes du patrimoine, pour voir qu’elles seraient les solutions techniques pour enlever, dans un premier temps, l’humidité à l’intérieur de l’église, plus particulièrement derrière l’autel, où les dégâts sont le plus impressionnant.

Traces d’humidité importantes.

Notre association a beaucoup travaillé durant ce premier trimestre 2019, en participant notamment à des exposés sur l’histoire, aux collèges de Banon (25 janvier) et de Manosque (25 mars).

Un déplacement à Nice le 26 février, au musée de la Résistance pour trouver des documents sur Mallefougasse pendant la guerre 39/45…

… Et au cimetière St Brigitte à Grasse pour chercher encore et encore l’emplacement de la tombe de « Madeleine ». C’est très compliqué car le service des cimetières de la ville n’a plus tous les éléments sur les anciens emplacements. Les tombes ont été renumérotées et il n’a pas la relation entre les deux listes. Il ne reste plus que deux possibilités pour trouver Madeleine.

Conférences sur la « Retirada » à St Tulle le 2 février, l’Escale le 16 avril, la Javie le 19 avril. Une est en prévision le 7 juin à Villeneuve. Plus un bel article dans la revue « Aquo d’Aqui ».

Quelques déplacements aux Archives Départementales pour recherches d’archives sur Mallefougasse et Montlaux.

Durant ce trimestre plus de 400 pages sur Mallefougasse ont été scannées.

Intervention après le beau et émouvant film « le silence des autres » le 27 mars à Château-Arnoux, et le 11 avril à Gréoux les bains. Une autre est prévue le samedi 25 mai à la Verdière dans le département du Var.

Balade géologique aux sources du Lauzon et conférence sur la montagne de Lure, le 30 mars avec notre géologue passionné et passionnant, André Cerdan.

Sources du Lauzon

Sauvegarde du vieux Montlaux.

Notre association participe en collaboration avec la commune de Montlaux à la sauvegarde du vieux Montlaux. Il s’agit de réaliser d’urgence des travaux pour empêcher le reste des murs de s’effondrer. Nous avons effectué déjà deux débroussaillages, afin de permettre à l’architecte du patrimoine de mieux prendre les mesures des divers bâtiments et éléments du site.

Une souscription a été mise en place sous l’égide de la Fondation du Patrimoine. L’argent récolté servira uniquement au chantier du vieux Montlaux. Si vous souhaitez faire un don voici les coordonnées : Fondation du Patrimoine 60 boulevard Gassendi 04000 Digne-les-Bains.

Vous pouvez établir votre chèque à : Fondation du Patrimoine, église Montlaux.

Les lettres de Marcelino

L’envoi de la correspondance de Marcelino avec son épouse et ses enfants a commencé au mois de mars. A ce jour nous avons expédié à date d’écriture 6 lettres, écrites du camp de concentration d’Argelès sur mer, plus une envoyée de la Condamine dans les Basses-Alpes. Dans ces premières lettres, Marcelino ne dit pas grand-chose sur ses conditions d’internement. Mais dans les prochaines lettres, il va vous étonner par sa vision des choses.

Nous avons déjà beaucoup de retours et de commentaires sur cette correspondance.

Evènements et projets en cours ou à venir

*** Représentation des « Lettres de Madeleine » le mercredi 29 mai à 20h30 à Salignac en collaboration avec la troupe des Malfoutugassais.

*** L’association travaille sur l’approvisionnement en eau de Mallefougasse avant l’arrivée de l’eau au village en 1967.

Un relevé de toutes les citernes et autres puits est en cours. Si vous voulez y participer contactez moi.

*** En ce 80ème anniversaire de l’arrivée de 2200 réfugiés dans le département, nous organisons le samedi 17 août une fête à Montlaux, avec une projection, un repas espagnol et une animation musicale. Un groupe vient bénévolement des Pyrénées-Orientales pour animer cette journée. Plus de précision ultérieurement.

*** Samedi 11 octobre soirée diaporama autour du champignon « sanguin » avec la participation de Daniel Mousain, chercheur et le spécialiste mondial de ce type de champignon.

Patrick

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Septième lettre de Marcelino ; c’est la première écrite de La Condamine dans les Basses-Alpes (Alpes de Haute Provence) où il vient rejoindre la 11ème CTE (Compagnie de Travailleurs Espagnols). Le E d’Espagnols va rapidement se transformer en E d’Etrangers.

La condamine, 1er Mai 1939*

Ce courrier a pour objet de vous dire que nous nous trouvons à La Condamine, village où nous avons été amenés pour travailler. Voici l’explication de notre déplacement à ce nouveau camp : on nous a demandé si nous étions volontaires pour travailler, le travail fini on nous offrirait comme prime la liberté de rejoindre notre famille**. Vous comprendrez que nous avons été nombreux à accepter sans hésiter ce voyage. Pour le moment je ne peux rien vous raconter sur ce que sera notre vie, ni vous annoncer quel sera le jour de nos retrouvailles, ce ne sont plus des rumeurs mais des responsables qui disent que ce sera pour bientôt. Le sort en est jeté. De sorte qu’il faut prendre patience maintenant.
Cet endroit est très froid, comme nous sommes au mois de mai, nous n’en sommes pas effrayés pour autant. Nous pensons que nous allons rester ici trois ou quatre mois.
Comme ils vont être les plus longs de notre séparation, notre patience doit-être plus grande.
Lorsque le jour tant souhaité arrivera nous vous communiquerons les démarches dont nous aurons besoin. Lorsque tu m’écriras n’oublie pas ma nouvelle adresse.
Sebastian, j’attends toujours tes explications au sujet de ton travail et ton emploi du temps. Valero, j’attends aussi que tu me racontes quelque chose sur ce que tu fais et ce que tu étudies. Juana, continues à aider ta mère, à prendre soin de tes frères. Anastasio, dis-moi si tu dessines après avoir joué. Lauro, y Alicia, je suppose que vous devez déjà savoir dire beaucoup de mots en français. Racontez-moi à quoi vous jouez. Bientôt nous nous embrasserons.

Marcelino Sanz Mateo

Lettre de Juan Uceda Fernandez, son gendre et époux de sa fille Maria.

Le 1er mai 1939

En sortant du camp d’Argelès sur mer, on nous a dit que l’on nous amenait du côté de Lyon, mais on nous a trompé. Après de nombreuses heures de voyage, nous sommes arrivés à notre destination. Nous étions dans les Basses Alpes, au pied d’une montagne avec de la neige, à très peu de kilomètres de l’Italie. Nous avons demandé si on pouvait vous faire venir au village qui est à trois kilomètres de notre camp. On nous a répondu que pour le moment non… Dans les villages que nous avons traversés avec le train, nous avons vu beaucoup de familles espagnoles. A chaque arrêt il y avait des femmes et des enfants qui nous saluaient et pleuraient. Beaucoup d’entre-nous pleuraient aussi parce que c’était quelque chose de très émouvant.
Maria renseigne-toi s’il y a un train direct de Mézin jusqu’à Nîmes ou Avignon et laquelle de ces deux villes est plus proche de Mézin.

Carte postale de LA CONDAMINE en 1808
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Sixième lettre de Marcelino écrite du camp de concentration d’Argelès sur mer.

Argelès sur mer, 20 avril 1939

Avant tout je vous adresse ma joie à voir la photographie de Sébastian. C’est déjà un homme et selon moi trop gros. Vous me dites que Juana est aussi assez grosse. Et bien moi aussi j’ai grossi et Juan peux vous dire la même chose. Nous pouvons être contents car le contraire serait mauvais. Il vaut mieux avoir de la graisse que des os. Je suis bien, j’ai bon appétit et je dors bien. Alors sur ce point ne vous inquiétez pas du tout, et pour ce qui touche aux événements prenez les avec calme. En y réfléchissant la vie est plus simple que nous le sommes. Vous craignez qu’ils nous envoient à la guerre. Restez tranquille car nous n’irons pas au front si nous ne voulons pas être volontaires.
De rumeurs assurent que bientôt ils nous sortiront de ce camp, mais personne ne sait quand. On murmure tant de choses que je ne veux plus les écouter ! On parle tellement pour ne rien dire que comme le dit si bien le dicton « a mauvaises paroles, oreilles sourdes ». Moi je sais seulement que ce jour attendu viendra.
Sébastian tu m’expliqueras pour quel motif tu as arrêté de travailler, et en conséquence, comment tu passes ton temps. A ton âge on ne peut rester sans rien faire. Pour le moins profites-en pour prendre des leçons d’arithmétique. Tu dois aussi essayer de faire ce que tu peux pour obtenir n’importe quel livre d’instruction générale en mécanique. Ces études te serviront beaucoup et plus tu apprends, mieux ce sera. Le savoir ne prend pas de place. Ecoute bien mes conseils, car tu as l’âge d’être un homme ou un paresseux.
Valero, au calcul ! Juana à l’écriture ! Anastasio, quand nous nous réunirons, après t’avoir donné un baiser, je te montrerai les dessins de mes inventions sur les machines agricoles. Comme j’ai assez de temps libre je passe le temps à dessiner. Alors toi aussi, au dessin.
A propos d’Antonio je t’ai dit que le « Calandino » t’informerait. Alors quand il écrira à sa femme, préviens-le du cas.

Marcelino Sanz Mateo

Un des dessins de la main de Marcelino.
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Cinquième lettre de Marcelino envoyée du camp de concentration d’Argelès sur mer.

Argelès-sur-Mer, 14 avril 1939

La lettre qu’a reçue Juan m’informe sur votre état de santé. Etant donné que je suis bien, je suis content que notre satisfaction soit commune. Tu te plains que je ne t’écris pas beaucoup. Je ne comprends pas ta colère et ta peine étant donné qu’ils ne sont pas nombreux les jours qui nous séparent de mes dernières lettres. Ma vie ne connait aucun changement. Je continue à être dans le même camp, j’ai la santé et je suis toujours en compagnie de notre fils Juan, duquel je crois on ne me séparera pas. Je suis obligé de te dire que tu dois calmer ton impatience. Cela fait des années que ne sommes plus fiancés ni jeunes mariés. Par conséquent du dois t’habituer à notre séparation. Ne compte pas les jours ni les mois comme on a l’habitude de le dire : « à jours longs, longues souffrances ». Actuellement nous devons prendre notre mal en patience. Je te supplie d’avoir du courage. Su tu pouvais me voir à cet instant tu serais contente : je suis en train de t’écrire au son de la musique, parce qu’aujourd’hui, 14 avril c’est l’anniversaire de notre République. Pour le célébrer nous avons organisé un grand concert, un match de football et un autre de boxe. A ce moment même, un compagnon chante ce proverbe Aragonais :

Maintenant la honte se vend
A deux milles pesetas l’once
Etant donné qu’elle est si chère
Nous en utiliserons très peu

Comme tu peux voir, nous nous amusons et nous manifestons avec sérénité le déracinement. Qui sont nos compagnons de baraquement : Francisco el Fin, les deux frères Sulema, deux frères de la province de Zaragoza, et un catalan. Juan se trouve dans un autre baraquement parce qu’il appartient au corps du « train », mais tous les jours il déjeune avec moi, il ne faut donc pas vous alarmer en imaginant que nous sommes séparés. Presque tous les jours, tous les natifs du village se réunissent. Mes autres compagnons sont : Meseguer, le fils du Valenciano de la Gaitera, le Valenciano plus jeune, frère de Juaquin, le cadet de Jemerra, le fils de Juana la Aleta, le fils de la vieille de la rue haute, le fils du Herrero de Santolia, le musicien, un Albero, celui de Rosa del Castillo, German du Portillo, celui qui travaillait dans le garage, qui est grand, le fils de Mingas del Pipa et le jeune des Castilla. Comme tu peux le voir, ici il y a la moitié d’Alcorisa. Lorsque nous nous réunissons nous passons des moments très agréables, en attendant qu’on nous appelle pour aller travailler et en commentant les rumeurs selon lesquelles on ne tardera pas à nous sortir d’ici pour nous réunir avec nos familles. Alors il ne nous reste plus qu’a attendre que la nouvelle se concrétise. Si cela pouvait-être après-demain le jour qui nous verra réunis ! On dit qu’il vaut mieux tard que jamais. Mais beaucoup parmi ceux qui se trouvent ici ne peuvent plus vivre avec de illusions.
Sébastian, tu me raconteras la prochaine fois comment va ton travail. Essaies si cela est possible, de prendre des cours de mécanique. C’est aussi mon aspiration.
Valero, ne perd pas ton temps seulement à jouer. Tu dois également penser à faire du calcul. Tu sais ce que je pense et ce que je désire.
Juana, écris plus souvent car tu es en retard dans tes lettres.
Anastasio, dis-moi qu’elle est ta plus grande préoccupation à par celle de jouer.
Lauro et Alicia, racontez-moi combien vous jouez.
Merci Maria. Tes lettres sont le miroir de ta vie. Tous ceux du village vous envoient leurs bons souvenirs. N’oubliez pas de saluer les gens de Calenda et ceux de Galera. Dites-moi si le fils d’Antonio s’en est remis. Mon adresse est toujours la même.

Marcelino Sanz Mateo

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Quatrième lettre de Marcelino envoyée du camp de concentration d’Argelès sur mer.

Argelès-sur-Mer, 7 avril 1939

Comme tu me le demande dans ta lettre du 4, voila ce que je peux te dire concernant Antonio celui de la Galera. Je ne l’ai pas vu mais quand nous nous rencontrâmes ici avec Estéban, ce dernier me dit que le camp où il se trouvait étaient aussi des gens de la collectivité de Villafranca de Penedés : Antonio de la Galera, ceux de Amposta, Antonio del Huerto avec son gendre et le « Vives ». Moi je n’ai seulement vu que ceux de Amposta et le « Calvo », lesquels sont partis de ce camp.
De telle manière que je peux te donner plus de détails sur les uns et les autres. Si vous vouliez plus d’informations, Estéban est la seule personne qui puisse vous les donner.
Sébastian, tu m’informe que vous aussi ils vous inscrivent. Je suis satisfait de savoir que tu t’es inscrit comme métallurgiste. C’est le chemin que tu dois prendre et continuer avec ardeur. Tu sais quels sont mes conseils.
Mes bons souvenirs pour tous, particulièrement ceux du village.

Marcelino Sanz Mateo

Conditions de vie dans les camps du Roussillon
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Troisième lettre de Marcelino envoyée du camp de concentration d’Argelès sur mer.

Argelès sur mer, 3 avril 1939

Dans votre lettre du 31 je vois que votre état de santé est parfait. Notre gendre Juan et moi-même sommes jusqu’à présent également en bonne santé, coexistant dans ce camp. En ce qui concerne les rumeurs selon lesquelles nous allons sortir du camp, ici nous entendons les mêmes chuchotements. En réalité, ils nous demandent et notent la profession de chacun d’entre nous pour, comme nous le pensons, nous faire travailler. Jusqu’à présent, tous les compagnons du premier jour continuons ensemble dans le même baraquement. Tu me supplie de te raconter plus de choses. Mais cela n’est pas possible. Dans une lettre on ne peut raconter que peu de choses. Pour raconter, beaucoup de mots sont nécessaires. Nous en parlerons jusqu’à n’en plus pouvoir lorsque nous serons à nouveau réunis. Ce que raconte la « Voz de Aragon »* ne me concerne pas. Moi je passe mon temps à dessiner quelques inventions qui puissent améliorer les machines à tondre, à battra, le pressoir à raisins, et les composteurs.

Ma chère fille Maria. Voir tes lettres est pour moi une consolation étant donné que c’est la seule chose dont j’ai besoin de toi vu que chaque jour que tu lui écris Juan me communique ton état de santé et les avantages de ta vie de famille.

Mon cher fils Sébastian. Je suis très content de ce que tu me racontes dans ta lettre. Je te félicite pour la bonne volonté que tu montres dans ton travail et pour ce que tu veux faire avec l’argent que tu as épargné, à part m’envoyer des colis. Je n’ai besoin de rien, je te remercie pour ton offre. Vraiment je suis réconforté par le chagrin que tu ressens lorsque tu pense à moi. Merci aussi pour le plaisir que me procure la lecture de tes lettres et plus encore ton désir de m’envoyer le montant de tes pourboires.

Mon cher fils Valero. Tu me dis que je dois venir vous chercher très bientôt. Ce n’est pas le désir qui me manque. Le temps satisfera tous tes désirs, même celui de te serrer dans mes bras comme tu le demandes.

Ma chère fille Juana. Les baisers que tu m’envoies et la tendresse que tu manifestes se concrétiseront un jour, le ciel m’en est témoin. Tant que nous vivrons des moments tourmentés je te demande d’être consciencieuse dans l’aide que tu apporteras à ta mère et à tes frères. Cela te servira pour être une femme respectée.

Mon cher fils Lauro. En voyant ta signature j’imagine la main de ta mère qui guide la plume que tes petits doigts tiennent serrée. Tu me raconteras la prochaine fois si tu continues à être aussi espiègle.

Ma chère fille Alice. J’embrasse ta signature comme si cela était tes lèvres. Cela m’a beaucoup amusé d’apprendre que tu as la langue bien pendue lorsque tu parles français.

Si par hasard quelqu’un vous conseille de revenir en Espagne, n’acceptez rien sans notre permission.

Marcelino Sanz Mateo

*Voz de Aragon est un périodique fondé par Mariano Sanchez Roca.

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Seconde lettre de Marcelino envoyée du camp de concentration d’Argelès sur mer.

Argelès sur mer, 18 mars 1939

Mon cher fils Sébastian

Je viens de recevoir ta lettre datée du 15. Je me réjouis de savoir que vous êtes en bonne santé, comme moi-même et Juan d’ailleurs. Nous sommes bien, nous ne souffrons plus de notre séparation. Je vous demande d’avoir la patience que requiert notre situation présente et que vous continuiez à rester forts contre vents et marées. Il me suffit de vous savoir bien logés pour moi que je sois réjoui, car vous êtes la partie faible, celle qui a besoin d’un refuge. Cette bonne nouvelle démontre que nous avons raison de nous armer de patience aujourd’hui et d’avoir confiance en demain.

La lecture de votre lettre me remplit de satisfaction. Je lis que les petits jouent beaucoup et même grossissent, pendant que les plus grand, vous vous ennuyez. Et bien je dois vous faire cette remarque : vu que vous avez du temps libre, pourquoi ne l’employez vous pas à lire, écrire et faire des calculs ? Mettez-vous dans le crâne que les études vous serviront quand vous serez adultes. Il est de mon devoir de vous prévenir et du votre de m’écouter. Je pense que vous le ferez, étant toujours attentif aux conseils de votre père qui jamais ne vous causera du tort.

Dans le présent comme dans le futur je vous demande que vous ayez le plus grand respect pour votre mère comme envers moi-même. Ces paroles vous concernent tous, et toi, Maria, tu dois en plus respecter ton mari. A toi Benigna, je te demande de répéter ce que je dis à nos enfants, qu’ils sont l’unique chose qui nous fait souffrir et éprouver du plaisir. Sur tes épaules pèse la charge de les éduquer jusqu’à ce qu’arrive le jour où nous serons réunis.

N’oubliez pas de me raconter comment évolue votre mode de vie. Tenez-moi au courant de ce qu’il se dit où vous êtes concernant les réfugiés espagnols. Jusqu’à la normalisation de notre situation restez soudés. L’union fait la force. Ne perdez pas confiance. Aidez les autres pour vous libérer de cette mauvaise passe. Je sais que toi et les enfants procédez ainsi, n’oubliez pas que vouloir c’est pouvoir. Saluez de notre part la « Galera » et la « Calandina ».

Votre époux et père qui désire tant vous étreindre.

Marcelino Sanz Mateo

La véritable écriture de Marcelino
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Première lettre de Marcelino, envoyée du camp de concentration d’Argelès dans les Pyrénées-Orientales.

Argelès sur mer le 13 mars 1939.

Chère épouse et chers enfants.

J’ai été très heureux de recevoir votre lettre datée du 10, par laquelle j’ai pu constater que vous êtes tous ensembles et que vous êtes en bonne santé, comme moi jusqu’à présent. Je suis également pleinement satisfait car vous avez tous exaucés mon vœu, qui était de recevoir vos signatures enveloppées de baisers et embrassades. Vos désirs sont aussi les miens. Je pense qu’ils se réaliseront bientôt.

Sébastian, je suis satisfait de ta lettre perce que j’y vois ta bonne volonté de vouloir travailler, étant donné que c’est le destin de l’homme, mais je vais te donner un conseil…Plus qu’un conseil il s’agit d’un avertissement, Ce n’est pas que je ne veux pas que tu ailles travailler, c’est tout à fait le contraire. Encore une fois, j’ai été ravi de ta bonne volonté mais je te rappelle que tu n’as pas de papiers, et comme vous les jeunes vous n’êtes pas avertis de ce qui peut subvenir, je te préviens de ne pas faire de longue promenade avec le vélo en dehors du village sans être accompagné de cet homme* avec qui tu travailles. Ou sans les papiers pour pouvoir circuler, parce que l’on pourrait t’arrêter et ce serait un grand malheur pour nous tous. Donc reste vigilant.

En ce qui concerne vos questions sur le front, il ne s’est rien passé de plus que ce que vous savez déjà. Je vous raconterai tout quand nous serons tous ensembles. Le jour après que vous soyez tous parti je suis retourné là où je vous ai laissé et je n’ai trouvé personne.

Concernant ce que vous dites à propos du mulet, de la charrette et des vêtements que nous avons abandonnés à la Junquera, il ne faut pas avoir autant de peine. Pour oublier tout cela il faut penser qu’il y aura des jours meilleurs, car après l’orage vient le beau temps. Et même si Franco nous empêchait de revenir dans notre pays, il y en a plusieurs autres qui souhaitent nous accueillir. Si nous arrivons à cette situation extrême, nous choisirons l’Amérique.

Tu me demandes des nouvelles des personnes d’Amposta. Et bien, les premiers jours nous avons vu le père d’Augustin y Nisen, mais cela fait très longtemps que nous les avons revus. Vous pouvez dire à Carmen que nous avons vu son mari. Nous avons également perdu de vue Estéban y Antonio ceux de la Galéra, parce qu’ils ont changé de camps.

Sans rien d’autre à raconter, transmettes mes souvenirs à tous de notre part et recevez la tendresse de votre époux et père qui désire tant vous étreindre.

Marcelino Sanz Mateo

Le compagnon que je vous disais si connu est Francisco « el Fin** », lequel vous transmet son bon souvenir.

*en cachette un agriculteur de Mézin (Tarn et Garonne) embaucha Sébastian pour travailler dans ses champs

** Francisco Garcia « el Fin », Alcorisano, et ami de Marcelino. A partir d’Argeles tous les deux partageront le même sort.